Prédication du 7 septembre « Une nature et un être humain en devenir »

par Jean-Marie de Bourqueney

« Une nature et un être humain en devenir » 

Psaume 8 et Genèse 2. (voir les textes complets en bas de page)

Notre foi protestante est une foi qui valorise sans doute de manière forte l’individu, la personnalisation. Certains parlent même, à juste titre, d’une forme d’individualisme. Mais, en même temps il y a dans nos traditions une forme de rigueur morale tournée vers les autres. On peut parler « d’individualisme altruiste ».  Alors comment, sur cette base-là, faire face à la crise écologique que nous vivons, et envisager l’avenir ? Tout en maintenant une « vocation », celle de l’espérance. Car le psaume 8 nous éloigne du catastrophisme ambiant. Il nous appelle à aimer le monde, à le chérir, à le considérer comme plus important que le ciel. Notre foi est donc « mondaine », « incarnée », ni dogmatique hors sol ni éthérée dans une volonté de fuite du monde vers un-delà idéalisé. Non, nous avons les pieds dans la glaise originelle avec passion.

L’être humain est « presque » un Dieu.

Le verset 6 du psaume nous dit, mot-à-mot : « Tu lui as fait manquer de peu d’être Élohim. » D’ailleurs comme parfois, la traduction grecque (LXX) et la Vulgate en latin de St Jérôme qui servirent de référence traduisent par « ange ». Non c’est bien de Dieu qu’il s’agit : Élohim. Nous sommes presque des dieux…. Mais évidemment la force et subtilité de cette affirmation tient dans le « presque ». Quiconque pense qu’il est vraiment Dieu devient un tyran absolu, un fou, un fanatique, un meurtrier. Nous sommes presque des dieux, c’est-à-dire que nous avons un rôle particulier, au nom de Dieu à jouer dans la vie et dans le monde : c’est vrai pour la justice c’est vrai aussi pour l’écologie par exemple. Nous pouvons tels des dieux influencer l’avenir de notre planète… Qu’en faisons-nous ? L’écologie est un défi pour l’humanité car elle menace l’humanité et l’ensemble de la planète, de la biodiversité, de son équilibre, finalement plus fragile qu’on ne le pensait en se voilant la face. Être presque un dieu c’est au fond donner à l’être humain une responsabilité singulière.

Nous avons donc une vocation, un « rôle », celui d’intermédiaire, c’est-à-dire de gérant, de responsable du projet divin. Je suis de ceux qui pense que Dieu n’impose pas et ne tire pas les ficelles de marionnettes que nous serions, mais que Dieu propose. On peut ici débattre de la forme de sa proposition : Dieu est-il une personne, autre chose, une forme d’énergie ? Mais restons-en à la notion de projet. Les deux récits de création des origines (différents dans leurs dates et leurs inspirations), mettent l’être humain au cœur de ce projet. Non pas uniquement comme la forme la plus parfaite de la création mais comme responsable : « tu as mis sous ses pieds », nous rappelle le psaume 8. Certes l’écologie est un sujet qui concerne tous les citoyens. Il ne relève pas d’abord d’une parole d’Église ; nous n’avons pas besoin de celle-ci pour savoir trier nos déchets et économiser l’eau, et avoir un comportement raisonnable… Le « prescriptif » est pour moi étranger à la religion, mais, comme croyants, nous avons à nous rappeler cette vocation à la responsabilité. Nous n’allons pas, à nous seuls, sauver le monde mais nous avons, sans doute encore plus, à nous sentir concernés par la question. Sans pour autant avoir des consignes à décider ou à imposer qui relèvent du débat démocratique. Nous sommes presque des dieux, c’est-à-dire des êtres singuliers mais pas des intégristes d’une nouvelle loi ou religion qui s’imposerait sans débat.

 

Le co-développement de l’humain et de la nature

L’écologie est aussi un « défi » pour l’humanité, car il nous contrait à repenser la notion même d’humanité, en la contextualisant dans un environnement, celui de notre planète. En insérant l’être humain dans la création il nous est rappelé que l’un n’existe pas sans l’autre. Sans doute avons-nous trop valorisé l’être humain en le déconnectant de son environnement. Nous avons pensé l’homme en rupture par rapport au monde animal. Or, les dernières recherches sur les animaux (par exemple sur les primates ou même les baleines ou même les poulpes…) nous montrent que le vieux modèle de la rupture (animal/humain) n’est plus tenable de manière aussi radicale qu’auparavant. Il n’existe pas de rupture, mais une complexité plus grande de l’être humain par rapport aux autres animaux. Dans la théologie du process (que je revendique et promeus), on pense l’existence comme un flux d’évènements, plus ou moins complexe, depuis la pierre qui vit ou subit des évènements à l’échelle d’une ère et évolue vers ce qu’elle devient, jusqu’à l’être humain. Plus on avance vers l’être humain, plus la complexité se fait grande et le rythme des évènements soutenu. Nous n’arrêterons pas de devenir ce que nous sommes. Cela fait notre force autant que notre fragilité, car nous pouvons disparaitre plus vite qu’une pierre. Penser l’être humain comme faisant partie de la nature, c’est le penser dans ses relations à Dieu, aux autre êtres humains, à lui-même mais aussi à la création. J’ai l’habitude de parler d’une « triple alliance », à partir du verset de l’évangile : « tu aimeras le Seigneur ton Dieu (1e alliance) (…), ton prochain (2e alliance) comme toi-même (3e alliance) ». On peut se demander s’il n’existe pas une 4e alliance, celle avec la nature…

Cela nous donne une vision plus dynamique de la création et du coup de l’écologie. Il nous faut sortir d’un discours passéiste sur un Eden perdu à retrouver (une nature « à préserver » uniquement) et aller vers un discours porteur d’espérance, à l’inverse du catastrophisme : nous avons à « accompagner » la nature, à la transformer de manière positive. Avant d’autres, depuis les années 60, un certain nombre de théologiens du process, comme John Cobb ou David Griffin, ont alerté les chrétiens sur l’urgence de repenser notre relation au monde mais aussi de réformer notre vison de la nature : celle-ci est toujours en devenir, en transformation permanente. C’est d’ailleurs cette transformation qui a fait découvrir et concevoir la notion même d’évolution. L’être humain n’existerait pas dans une nature qui n’aurait pas évolué. Le christianisme que nous avons à vivre est à l’image de cette notion même d’évolution : en devenir dans un monde en devenir.

 

L’arbre de la connaissance (ou la fameuse « pomme » qui n’en est pas une…) comme invitation à l’humilité

L’être humain ne peut tout savoir et se sentir tout permis. Cet interdit symbolique nous ramène à ce « presque comme un dieu » du psaume 8. Le péché, ce ne sont pas les petites peccadilles, les petites fautes que le christianisme a sans doute survalorisées en générant de la culpabilité inutile. Non, le péché c’est bien plus cette folie de croire que, tel Dieu, nous connaissons tout. D’ailleurs notons ici que la connaissance est désignée par un arbre, pas par le cerveau de l’être humain ! Le savoir est don extérieur à l’être humain comme la vérité lui est extérieure. Il est un chercheur, un interprète, pas un propriétaire de la connaissance et de la vérité. Cela doit nous inciter à ne pas nous prendre pour des êtres tout-puissants capables de tout. Nous avons à trouver, à chercher, à trouver encore et faire progresser notre science, c’est-à-dire nous rapprocher de l’arbre sans jamais le saisir complètement. La science a souvent ramené la religion à sa juste place, celle qui ne définit pas les choses et ne décrit pas comment le monde a été créé. Notre réflexion spirituelle doit aussi ramener notre science, et bien au-delà, l’ensemble de notre société à sa juste place, celle du progrès, mais pas de la toute-puissance contrôlée par quelques-uns. Celle d’une science au service de l’humanité, c’est-à-dire de chaque être humain qui partage avec la nature, le sort de notre planète.  « Qu’il est beau ton nom sur toute la terre ! »

Jean-Marie de Bourqueney

 

Textes bibliques :

Genèse 2

Quand le Seigneur Dieu fit la terre et les cieux, 5il n’y avait encore aucun buisson sur la terre, et aucune herbe n’avait encore germé, car le Seigneur Dieu n’avait pas encore envoyé de pluie sur la terre, et il n’y avait pas d’être humain pour cultiver le sol. 6Un flot montait de la terre et arrosait la surface du sol.

7Le Seigneur Dieu prit de la poussière du sol et en façonna un être humain. Puis il lui insuffla dans les narines le souffle de vie, et cet être humain devint vivant. 8Ensuite le Seigneur Dieu planta un jardin au pays d’Éden, à l’orient, pour y mettre l’être humain qu’il avait façonné. 9Il fit pousser du sol toutes sortes d’arbres à l’aspect agréable et bons pour se nourrir. Il mit au centre du jardin l’arbre de la vie, et l’arbre qui donne la connaissance de ce qui est bon et de ce qui est mauvais.

10Un fleuve sortait du pays d’Éden et irriguait le jardin. De là, il se divisait en quatre bras. 11Le premier était le Pichon ; il fait le tour du pays de Havila. Dans ce pays, on trouve de l’or, 12un or de qualité, ainsi que la résine parfumée de bdellium et la pierre précieuse de cornaline. 13Le second bras du fleuve était le Guihon, qui fait le tour du pays de Kouch. 14Le troisième était le Tigre, qui coule à l’est de la ville d’Assour. Enfin le quatrième était l’Euphrate.

15Le Seigneur Dieu prit l’homme et le plaça dans le jardin d’Éden pour qu’il cultive la terre et la garde. 16Il lui ordonna : « Tu te nourriras des fruits de n’importe quel arbre du jardin, 17sauf de l’arbre qui donne la connaissance de ce qui est bon et de ce qui est mauvais. Le jour où tu en mangeras, tu mourras. »

Psaume 8

2Ô Seigneur, notre maître,

ta renommée est grande sur toute la terre !

Ta majesté surpasse la majesté des cieux.

3C’est la voix des petits enfants, des tout petits enfants,

que tu opposes à tes adversaires.

Elle est comme un rempart que tu dresses

pour réduire au silence tes ennemis les plus acharnés.

4Quand je vois les cieux que tu as créés,

la lune et les étoiles, que tu y as placées,

5je me demande :

L’être humain a-t-il tant d’importance pour que tu penses à lui ?

Mérite-t-il vraiment que tu t’occupes de lui ?

6Or tu l’as fait presque l’égal des anges,

tu le couronnes de gloire et d’honneur.

7Tu le fais régner sur tout ce que tu as créé :

tu as tout mis à ses pieds,

8les moutons, les chèvres et les bœufs,

et même les bêtes sauvages,

9les oiseaux, les poissons,

et tout ce qui va son chemin dans les mers.

10Ô Seigneur, notre maître,

ta renommée est grande sur toute la terre !

 

 

 

 

 

 

 

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