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Une histoire de Noël
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Sylvie André : Un drôle de Père Noël
Sylvie André : Un drôle de Père Noël
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Chapitre I
Après un long sommeil
Une tempête polaire s’est abattue, juste sur le pôle Nord, pendant plus d’une semaine ; le vent entraîne la neige dans un tourbillon et se dépose en congères sur le sol glacé du cercle polaire arctique. Après la tempête, le ciel se dégage, et devient tout constellé d’étoiles. Dans ces régions arctiques, à partir de la mi-octobre, la nuit dure quasiment toute la journée, la pénombre régnant alors aux heures les moins sombres. La glace s’étend à perte de vue. A peine distingue-t-on, dans la lueur crépusculaire, au point très précis du Pôle Nord, un igloo juste assez vaste pour abriter une famille. En s’en approchant, un ronflement régulier trouble le silence. Quelqu’un dort dans ce logis construit avec le matériau de base de la région, la neige, tassée et superposée pour obtenir une forme pyramidale arrondie. Celle-ci est ensuite creusée en laissant des parois suffisamment épaisses pour protéger du vent et du froid. Il suffit de ménager une ouverture pour laisser le passage, en prenant soin d’accrocher une peau d’ours, du côté intérieur, pour empêcher l’air glacé de refroidir l’igloo. L’entrée et la sortie s’effectuent en rampant à quatre pattes. En jetant un œil, après avoir écarté la peau d’ours, un curieux pourrait distinguer des formes humaines serrées les unes contre les autres, cinq pour être exact. Mais ce dernier s’esquiverait vite en entendant un long bâillement. Le chef de famille, un grand bonhomme, se réveille après un très long sommeil. Il se frotte les yeux puis étire longuement ses membres restés inactifs pendant plusieurs mois. Enfin il regarde autour de lui : son épouse et ses trois fils dorment profondément. Cela lui fait peine mais il doit réveiller sa femme et l’aîné de ses garçons qui s’appelle Manuel et a maintenant quinze ans, l’âge d’apprendre le métier. Les deux autres peuvent bien continuer à dormir. Quel métier veut-il enseigner à son fils ? Le plus beau du monde : Père Noël ! Eh oui, cela s’apprend car il faut être très organisé et sportif : apprendre à porter de lourdes charges, à monter sur les toits, à se faufiler dans les cheminées, pour y descendre avec précaution et ne pas s’écraser en bas. Enfin, savoir conduire le traîneau après l’avoir chargé de tous les cadeaux à distribuer, sans oublier la hotte. Pendant les années de son enfance, Manuel a appris à lire, à compter, il a étudié la géographie et même un peu d’histoire afin de comprendre pourquoi les cadeaux doivent être distribués dans tels pays et tels continents. En certaines contrées, les présents sont offerts au début du mois de décembre, c’est-à-dire dans cinq semaines, puisqu’on est le 1er novembre. Heureusement, presque tous les paquets sont prêts car ils ont été confectionnés dès le printemps. La plupart doivent être déposés à partir du 22 décembre et surtout les 24 et 25 avec une marge de tolérance toute relative pour le 26 : chaque année, de nombreuses réclamations lui parviennent pour retard de livraison. Une dernière tournée a lieu pour l’épiphanie autour du 6 janvier. Malgré la charge de travail, il ne peut pas encore embaucher leur deuxième fils, Elies, car, à 11 ans, il est trop jeune pour travailler et ne lit pas encore couramment. Il risquerait de se tromper dans les adresses des bénéficiaires et de lui faire perdre du temps. Pourtant, il voit bien, depuis deux ans, les regards d’envie de l’enfant quand il part, avec son traîneau tiré par leurs neuf rennes : Fougueux, Danseur, Rusé, Fringuant, Comète, Cupidon, Éclair, Tonnerre et Rodolphe… Il lui répète chaque fois la même phrase : «Plus tard ! Tu m’accompagneras quand tu auras atteint l’âge ». Le jeune garçon a bien hâte que ce temps arrive et pense qu’ils iraient beaucoup plus vite à trois, puis à quatre quand Jérémy, le petit dernier sera assez grand pour se joindre à l’équipe. Pour le moment, ce dernier n’a que huit ans et demi et, jusqu’à ses six ans, il avait semblé peu attiré par un voyage dans le froid, préférant rester auprès de sa mère. Son comportement va-t-il changer cette année ?
Dès qu’il a tiré Eva, sa femme, du sommeil, celle-ci prépare du café tandis que lui-même commence à caresser les cheveux de Manuel, l’aîné, en l’appelant doucement. Enfin l’adolescent s’éveille, baillant et s’étirant à la manière de son père. Ensuite ce dernier fait chauffer du lait et sort les bols, petites cuillères et couteaux. Puis il soulève une planche de bois pour puiser dans la réserve, qui, protégée du froid, ne descend jamais en dessous de 4 °. Il y prend du beurre et de la pâte à tartiner au chocolat. Elies et Jérémy dorment encore profondément. Il vaut mieux les laisser sortir eux-mêmes de leur sommeil.
Le Père Noël prend son petit déjeuner avec Manuel et Eva. Dehors, les rennes doivent avoir faim car il les entend bouger. Eux aussi se sont réveillés. Après s’être sustenté il va leur donner à manger, puis, s’étant muni de sa hotte, il se rend en quelques pas à la boîte aux lettres qui doit contenir des milliers de lettres de commande. Il va en arriver tous les jours jusqu’au départ et même après. Il l’ouvre et, effectivement, elle est pleine à craquer. Heureusement qu’elle est suffisamment spacieuse et solide ! En revanche, dès son ouverture, des centaines de lettres chutent sur le sol. Il les ramasse toutes et les dépose dans la hotte. Il rapporte le tout dans l’igloo et les pose sur une planche de travail posée au fond. Avec Eve, son épouse, il se met en devoir de classer les lettres par pays puis dresse une liste avec les adresses inscrites au dos des enveloppes. Assis côte à côte, épaule contre épaule, ils travaillent pendant des heures, jusque tard dans la soirée ; ils en ont pour plusieurs semaines de préparatifs. C’est pour cela qu’ils doivent s’activer dès le début du mois de novembre. Leur labeur s’achève généralement le 25 du mois et la Saint-Nicolas arrive à peine deux semaines plus tard. Donc, un peu avant la fin décembre, le Père Noël se lève de bon matin et, à nouveau, réveille Manuel et son épouse. Ils prennent leur petit déjeuner à la hâte avant de sortir les cadeaux de la réserve pour les charger sur le traîneau. Il s’agit aussi d’exposer au jeune apprenti les tâches qu’il devra accomplir. Le jour du départ, il sort de l’igloo, muni de sa pelle et de la hotte. Celle-ci reste toujours dans l’igloo car c’est un héritage précieux qui se transmet dans la famille depuis des siècles. Il se dirige vers la réserve pour creuser et atteindre rapidement la trappe qui recouvre une grande cave où sont rangés les cadeaux.
On se demande alors, à quoi servent les lettres puisqu’il a déjà stocké les présents à offrir ? Le Père Noël serait-il devin ? Non, il est tout simplement malin. Pendant les premiers jours de l’année, grâce à internet il se renseigne sur l’usage qui est fait des cadeaux apportés aux enfants et peut ainsi voir quels sont les plus appréciés. Ensuite, il repart en Europe, aux Etats-Unis et dans d’autres régions du monde pour « faire les soldes ». Eh oui ! Le Père Noël aussi fait les soldes. En toute discrétion. Inutile de préciser qu’il revêt des habits passe-partout. Le problème le plus délicat réside dans le transport car les rennes sont trop voyants. Il risquerait de se faire tout de suite repérer, même sans son costume de Père Noël. En cette circonstance, il les utilise seulement jusqu’aux limites du cercle polaire puis les échange contre des chiens qui l’emmènent, en passant par d’épaisses forêts, jusqu’à la limite des terres enneigées. Il remise alors son véhicule dans un hangar secret, à l’abri des regards indiscrets. Puis il prend un taxi pour se rendre dans les magasins de jouets. Le Père Noël a plus d’un tour dans sa hotte !
Pour l’heure, il descend les degrés d’une haute échelle et se retrouve aux pieds d’une montagne de paquets, les uns tout petits et les autres énormes. Dire qu’il doit charger tout cela sur le traîneau. Jamais il ne pourra faire tout tenir ! Il bougonne : « Il y en a de plus en plus chaque année. Dans certains pays, les enfants sont décidément TROP GÂTÉS ! Les parents ne se rendent vraiment pas compte ; s’ils étaient Père Noël et devaient faire mon travail, ils ne laisseraient pas leurs enfants commander tant de cadeaux. Dans certaines régions cela devient du délire. Mais moi, je vais répartir tout ça à mon idée, cette année. C’est dé-ci-dé ! »
Prenant soin de ne pas faire écrouler sur lui les monceaux de paquets, il en saisit plusieurs en commençant par les plus imposants et les dépose dans la hotte, qu’il a retirée et posée par terre. Quand celle-ci est pleine, il la remet sur ses épaules et remonte l’échelle, puis gagne l’igloo en trois pas pour appeler
Manuel. Ce dernier a fini son petit déjeuner et s’apprête à rejoindre son père qui le voit s’extirper par l’issue.
« Me voici, fit Manuel. Alors, que dois-je faire ?
-Vois-tu les paquets qui se trouvent dans cette hotte ? Il faut les disposer sur le traîneau. Mais auparavant, pour que tu te fasses une idée de la quantité à traiter, viens voir un peu tout ce que nous devons emmener. »
Le Père-Noël entraîne son fils vers la cave et l’invite à descendre jusqu’en bas de l’échelle. Lorsque Manuel se trouve au fond, dominé par la montagne de paquets, il s’écrie, totalement découragé : « Mais c’est impossible ! Nous n’arriverons jamais à arrimer tout ce fatras sur le traîneau ! Et d’abord, ce sera beaucoup trop lourd pour que les rennes puissent le tirer.
-Mon garçon, tu as compris le problème que je dois résoudre tous les ans. Et je ne serai pas fâché quand tu seras capable de prendre ma suite. En attendant, dépêche-toi, il faut remplir la hotte en y plaçant d’abord les plus gros paquets pour aller les déposer à côté du traîneau. Plusieurs voyages seront nécessaires. »
Manuel, suivant scrupuleusement les instructions de son père, remplit la hotte et la remonte pour déposer son chargement devant le traîneau. Au bout de dix allers et retours, exténué il s’assit en soufflant et dit à son père :
« Je comprends pourquoi tu veux prendre ta retraite à 60 ans. J’en ferai autant.
-Si tu as un garçon pour prendre ta suite !
-Garçon, fille, je ne vois pas où est le problème.
-Mais parce qu’aucune fille ne pourra faire ce travail. C’est beaucoup trop dur pour la gent féminine.
Eva, juste sortie de l’igloo, entend cette dernière réplique. Piquée au vif, sans dire un mot, elle attrape la hotte qu’elle enfile et l’emporte jusqu’à la cave où elle descend prestement l’échelle. Arrivée en bas, elle repère soigneusement les paquets à prendre en premier, puis les autres et en un tour de main réussit à remplir le précieux bagage, puis elle gravit l’échelle et se retrouve en haut pour aller déposer son chargement aux pieds de son époux.
« Alors, tu trouves toujours que nous, les femmes, ne sommes pas capables de faire ce travail ?
Le Père Noël, interdit, ne sait tout d’abord que répondre.
-Euh… Mais toi tu es une exception. Et puis tu n’es pas enceinte. Imagine, si tu en étais à six ou sept mois de grossesse et si tu te trouvais à la veille de Noël, toute seule pour faire le boulot, sans personne pour te remplacer ?
– Je trouverai bien quelqu’un dans la famille pour m’aider.
– Mais non, puisque tu seras toute seule !
-Ca c’est de la fiction. Là, à l’instant, je viens d’accomplir sans peine une tâche que tu trouves trop éprouvante pour une femme.
– De toute façon, tu n’es pas le Père Noël, puisque c’est moi qui suis titulaire du poste.
-Tu es d’une mauvaise foi écœurante ! Proteste Eva qui s’en retourne vers l’igloo tout en maugréant :
-Non mais quel macho ! Il n’y a pas idée, à notre époque.
Pendant la querelle de ses parents, Manuel qui ne veut pas être pris à parti, est à nouveau descendu dans la cave, y prendre d’autres paquets pour les remonter et les déposer près du traîneau. Il échappe ainsi à la dispute entre ses parents mais il est tout fier que sa mère soit capable, comme un homme, de remonter même les plus gros paquets. En outre, cela peut s’avérer utile par la suite. Manuel est un adolescent réfléchi et mûr pour son âge.
Chapitre II
La Saint-Nicolas et Noël.
Manuel et son père ont fixé tous les cadeaux sur le traîneau aidés par Eva, Jérémy et Elies. Ainsi toute la famille a participé au travail. En prévision du long voyage et de l’effort que devront fournir les rennes, le Père Noël les a particulièrement choyés. Chaque matin, il a appelé chacun d’eux par son nom, l’a caressé et flatté puis lui a donné de l’herbe et du lichen. Manuel a participé lui aussi au rituel pour mieux communiquer avec ces bêtes merveilleuses qui, pendant le trajet en territoire polaire, auront pour mission non seulement de tirer le traîneau mais aussi de réchauffer leurs maîtres en se couchant en partie sur eux quand le froid se fera trop mordant.
Arrive enfin le grand jour. Le Père Noël et son apprenti s’installent sur le traîneau après avoir attelé les rennes. D’un claquement de langue, le maître donne le départ. Après deux jours de course à travers le désert de glace, ils sortent du cercle polaire et cinglent vers le Nord de l’Europe où la Saint-Nicolas est fêtée dans de nombreuses régions en France, en Allemagne, en Suisse, au Luxembourg, en Belgique, aux Pays-Bas, en Russie, en Pologne, en Autriche et d’autres encore. Selon la tradition, au Moyen-Age dans la nuit du 5 au 6 décembre, le saint passait dans les maisons pour y apporter des friandises aux enfants sages : fruits secs, pommes, gâteaux, bonbons, chocolats et de grands pains d’épices. De nos jours encore, dans certains villages, la Saint-Nicolas se fête les 5 et 6 décembre. Manuel et son père sont soumis à une véritable course contre la montre. Arrivés à une latitude où maints endroits ne sont pas enneigés, ils doivent installer des roulettes à la place des patins sous le traîneau et cela leur prend du temps. Après cette opération, ils peuvent poursuivre leur périple. Lorsqu’ils ont honoré leur premier challenge, le Père Noël et son fils se reposent avant se rendre en Russie où, selon le rite orthodoxe qui observe le calendrier julien, la Saint-Nicolas se fête le 19 décembre. Là encore, il faut se hâter car la distribution de Noël proprement dit débute le 22 décembre. Heureusement, pour la Saint-Nicolas les présents sont généralement de taille modeste. Le travail est rapidement achevé et Bonhomme Noël et son fils peuvent s’accorder une bonne journée de répit avant la grosse tournée.
La grande distribution de Noël commence dès le 22 décembre et s’achève le 26. En effet, dans certaines familles, pour des raisons purement personnelles et pratiques, Noël est fêté dès le 23, voire le 22 décembre, par exemple parce qu’un accouchement est imminent ou parce que le père ou même la mère de famille doit travailler sans même une demi-journée de congé pendant les fêtes de Noël. Cette année, le Père Noël veut prendre le temps d’enseigner le métier à son fils qui est apprenti et a droit à une formation et à des conditions de travail décentes. Dès le 22 décembre, puis le 23 quelques paquets sont distribués. Mais le gros du travail reste pour les 24 et 25 décembre ainsi que la journée du 26 ; tant-pis pour les rouspéteurs ! Pour honorer un contrat et s’amuser un peu, Bonhomme Noël emmène son rejeton dans une rue commerçante, l’après-midi du
24 décembre. Arrivés dès la fin de la matinée, ils voient devant certains magasins, des hommes déguisés en Père-Noël trônant assis sur un banc et se faisant prendre en photo avec de jeunes enfants émerveillés et parfois aussi avec les parents. Manuel est bien étonné.
« C’est incroyable ! Ils sont tous déguisés en toi ! C’est idiot ; à la fin, les enfants ne vont plus s’y retrouver. Ils vont douter de ton existence !
-Ne t’inquiète pas. De toute manière, il y a un âge où les enfants ont perdu leur innocence et « ne croient plus au Père Noël ». C’est bien triste pour eux. Mais c’est heureux pour nous car, comme les humains sont de plus en plus nombreux, s’ils croyaient au Père Noël toute leur vie, nous finirions par être victimes de surmenage. Et il y aura toujours de jeunes enfants qui croiront au Père Noël, rassure-toi. On n’est pas prêts d’être au chômage dans la famille. Mais sais-tu qu’il existe un magasin, celui devant lequel nous sommes assis, qui n’emploie que le VRAI Père Noël. Vois ce panneau. Manuel, se retournant, avise une grande pancarte surmontée de petites lumières clignotantes, dressée à côté d’une dizaine de sapins alignés, et qui porte cette inscription en belles lettres dorées : « Ici, vous pouvez saluer le VRAI PERE NOEL le 24 décembre, à partir de 14 heures, et vous faire prendre en photo avec lui ». Tu comprends, c’est pourquoi nous sommes venus ici et allons y passer l’après-midi. Tu vas voir, des mamans et des papas venir avec leurs enfants et me dire bonjour. Je te présenterai mais comme c’est toi qui prendras les photos, tu ne pourras pas figurer dessus sauf si des parents le réclament expressément. Si tu veux, tu peux entrer un instant dans le magasin et voir ce qu’il y a à l’intérieur. Au passage, peux-tu dire au commerçant que je suis là, s’il te plait ? »
Manuel entre dans la boutique et y circule, admirant les jouets en bois et leurs jolies peintures. Sur des présentoirs décorés de guirlandes, sont disposés des puzzles, des jeux de construction, des trains électriques, des coffrets de magicien, des mallettes de formes géométriques pour les petits, tous en bois et artistement peints avec le plus souvent des couleurs vives : rouge, vert, jaune, bleu. Plus loin, des déguisements de princesse, de chevalier, de Zorro ou de Batman. En haut, tout en haut, des poupées et des peluches représentant toutes sortes d’animaux, même des dinosaures ! De son côté, dès que le commerçant, qui vendait ces merveilles en plus des sapins de Noël et des décorations, est averti de l’arrivée du Père Noël, il s’empresse d’aller le saluer. Puis il annonce à l’intention des passants, en utilisant un mégaphone car la rue est bruyante : « Cette après-midi, à partir de 14 heures, vous pourrez rencontrer le Vrai Père Noël! Puis comme chaque année, il offre un généreux pique-nique à ce dernier. Il y en a bien assez pour que Manuel puisse engloutir deux sandwichs. Le panier contient une bouteille de vin, pour le seul usage du Père Noël. Heureusement pour Manuel il y a aussi une bouteille d’eau. Pour le dessert ils peuvent tous deux savourer un délicieux pain d’épice. Mais ils ne doivent pas s’attarder. En effet, dès 14 heures, des dizaines d’enfants et de parents arrivent et se pressent autour du véritable Père Noël qui prend les petits tout intimidés sur ses genoux ; il leur demande leur prénom et leur âge puis se fait photographier avec chacun d’eux par Manuel à qui la fonction de photographe est attribuée. Après quoi, Bonhomme Noël tire de sa poche une jolie papillote contenant un chocolat. A présent, c’est une petite fille aux beaux cheveux blonds qui est assise sur les genoux du Père-Noël ; celui-ci converse gentiment avec cette jolie poupée vivante, sous les yeux attendris de ses parents. Après la photo, la fillette a droit à son chocolat, puis sa maman la reprend avec elle et l’entraîne plus loin. La petite a la bouche toute barbouillée de chocolat. Heureusement que la photo a été prise avant. Mais déjà, d’autres familles entourent la vedette du jour et l’après-midi passe vite. A 18 heures, ils doivent partir pour se rendre dans un village d’Alsace à plus de cent kilomètres de là.
Chapitre III
Le marathon de Noël
Lors du réveillon, le soir même, ils assistent à des scènes particulièrement pittoresques ou touchantes. Il règne dans le petit village alsacien une ambiance de Noël particulièrement chaleureuse : une chorale de l’Armée du Salut chante des cantiques traditionnels. Aux pieds d’un grand sapin décoré avec des boules de toutes les couleurs et des guirlandes électriques clignotantes, se dresse une crèche. Manuel intrigué demande à son père de quoi il s’agit.
« Ah oui ! C’est la crèche de l’enfant Jésus. Il y a bien des années, ceux qui l’adoraient me détestaient pour la plupart. Mes ancêtres avaient là un rude concurrent, tu peux me croire. Aujourd’hui, par chance, ceux qui me haïssent sont moins nombreux parce que les Chrétiens, ceux qui adorent Jésus, se sont mis à m’apprécier, du moins la majorité d’entre eux.
-Donc, il y a de plus en plus de gens qui nous aiment.
-C’est bien cela et, au fond, c’est bien l’essentiel.
Tout à coup, une cloche se met à sonner en haut d’un édifice.
« Qu’est ce que c’est ?
-C’est la cloche d’une église qui appelle les fidèles à l’office. Ecoute, il faut que je te raconte tout depuis le début. Tu sais que je suis le Père Noël. Sais-tu ce qu’est Noël ?
-Euh… Non, pas vraiment.
– Eh bien voilà. C’est une fête qui célèbre l’anniversaire de l’enfant Jésus qui est né – dit-on – le 25 décembre, il y a plus de deux mille ans. Cet enfant né pauvre dans une étable, près d’un âne et d’un bœuf, a été placé dans une crèche. Des bergers des alentours sont venus l’adorer car un ange leur a annoncé sa naissance et qu’il était venu sur terre pour sauver le monde et y apporter la lumière ainsi que la paix. Devenu adulte, il a donné sa vie pour le salut des hommes. Mais il dérangeait les autorités religieuses et on l’a arrêté puis crucifié après un jugement sommaire. Alors quelque chose d’incroyable s’est produit : au bout de trois jours son père l’a ressuscité.
– Ouah ! C’était un magicien drôlement doué.
-Mais non ! Le père de Jésus c’est Dieu et d’ailleurs, selon les Chrétiens, Jésus aussi est Dieu.
-Qu’est-ce que Dieu ?
-Eh bien …
– Oui ?
-Euh …
-Tu m’as l’air embarrassé. C’est si compliqué que ça ?
-Non, enfin si. Dieu, c’est lui qui a créé la terre et tout l’univers, les hommes, les animaux et les plantes. Mais il est invisible. Personne ne l’a jamais vu. Les croyants disent qu’il est tout-puissant.
– Sûrement ! S’il a ressuscité son fils … Mais Jésus, il est un peu comme les Pères Noël au fond.
– Oh non-non-non ! Jésus est Dieu lui aussi. Or nous, nous ne sommes pas Dieu ; nous mourrons comme les hommes. Simplement nous nous entourons de mystère parce que c’est amusant. Dieu, lui, est éternel. Il ne meurt pas. Il était déjà là il y a des milliards d’années, avant que la terre existe, ainsi que le soleil, les étoiles et toutes les planètes ; puisque c’est lui qui les a créés.
-Et comment a-t-il fait ?
-Tu m’en poses de ces questions ! Tu n’as qu’à lui demander, tiens !
-Comment ça, puisqu’il est invisible ?
-Il est invisible, mais il n’est pas sourd. Pour lui demander, il faut prier.
-C’est quoi prier ?
– Arrête un peu avec tes questions ! On dirait un gosse de 4 ans ! Où en étais-je ? Ah oui, je te parlais de Jésus dont l’anniversaire est fêté à Noël depuis bien des siècles. Devenu adulte il a enseigné les foules et guéri les malades qui le demandaient. Mais comme je te l’ai dit, cela déplaisait aux chefs religieux qui l’ont fait condamner à mort. Ah ! J’oubliais le Saint Esprit qui a été envoyé pour consoler les apôtres de Jésus et pour qu’ils répandent son enseignement. Certains d’entre eux, se sont mis à prêcher et convertir les foules ; au début ceux qui croyaient en Jésus n’étaient qu’une poignée ; ils ne fêtaient pas Noël mais seulement la résurrection. Après ils se sont multipliés. Avant sa mort, Jésus a laissé un commandement. Celui-ci est tout simple, il demande aux hommes de s’aimer entre eux. Mais pour cela, il y a encore beaucoup à faire… Et tiens, puisque tu m’a demandé ce qu’était prier, c’est parler à Dieu en secret, lui raconter ce qui ne va pas et lui dire qu’on l’aime et qu’on voudrait bien qu’il arrange un peu les choses sur terre, parce que les hommes ont bien du mal à s’aimer entre eux.
-Quand même, les gens se font des cadeaux. Ca veut dire qu’ils s’aiment bien.
-Oui, à leur famille et leurs amis mais pas aux autres. Mais de toute façon, l’amour ce n’est pas seulement se faire des cadeaux un jour. Ca ne rime à rien si on se dispute le reste de l’année. L’amour c’est de s’entraider, de partager avec ceux qui n’ont rien. Cela regarde Dieu et n’est pas de notre ressort. Nous, on est là un mois par an, à Noël, quand les hommes font la fête en famille ou avec leurs amis et se font des cadeaux. C’est notre job et il s’agit de le faire du mieux possible. Mon père avant moi et mon grand-père auparavant professaient le même métier. Sais-tu que nous somme une dynastie ? Depuis des siècles, nous sommes Père-Noël de père en fils.
– Et il n’y a jamais eu de fille ?
-Non ! Ah ! Tu ne vas pas t’y mettre comme ta mère, toi !
-Non-non, mais je croyais qu’il fallait s’aimer, donc aussi entre hommes et femmes.
-Bon, ça va, le sujet est clos ! Pour en revenir aux Chrétiens, ils répètent, comme Jésus, que les hommes doivent s’aimer,
-Et nous ? Nous ne sommes pas chrétiens ? Pourquoi ? C’est sympa d’être chrétien, d’aimer les autres et de partager.
– Oui bien sûr, mais il faudra qu’on en parle avec ta mère. C’est une affaire sérieuse et il faut que l’on se mette d’accord en famille. Même tes petits frères auront le droit de s’exprimer. Dans une certaine mesure, évidemment. Au fait, quelle heure est-il ?
-22h30.
-Ne perdons pas de temps ! Regagnons le traîneau, il faut commencer la distribution. Dans certaines familles, tout le monde doit déjà être couché, surtout les petits enfants.
– Les parents peuvent-ils nous voir ?
-En principe non, car nous devons nous entourer d’un certain mystère, mais comme certains adultes se couchent très tard dans la nuit, nous ne pouvons pas attendre les retardataires. Sinon nous ne pourrions pas tout distribuer. De toute façon, la plupart des couche-tard sont à moitié saouls ou du moins tombent de sommeil et ne font guère attention au Père-Noël qui ne vient que pour les petits enfants.
– Les autres ne reçoivent-ils aucun cadeau ?
-Si, mais les parents et tous les adultes aiment bien jouer au Père-Noël. Ca doit leur rappeler leur enfance et cela nous rend bien service. C’est ce que l’on peut appeler « le partage du travail » et c’est aussi l’esprit de Noël.
– Donc les grands font aussi des cadeaux. Ca doit bien faire marcher le commerce.
– Ah certes ! Mais le Père Noël aussi. Du reste, ce sont des marchands chrétiens qui firent appel au premier Père Noël, celui qui est à l’origine de notre dynastie. Cela s’est passé après que Saint-Nicolas ait offert des pièces d’or à des jeunes filles pauvres, il y a très longtemps, au début du mois de décembre et une tradition se perpétuait dans ce sens, au tout début du Moyen Age. Il intervenait surtout dans la nuit du 5 au 6 décembre ou le 19, puis la fête de Noël telle que nous la connaissons a été repoussée au 25 décembre date fixée par l’Eglise de Rome pour fêter l’anniversaire de l’Enfant Jésus. Désormais, le gros de notre travail se fait dans la nuit du 24 au 25 décembre.
– Il est vraiment né le 25 décembre, Jésus ?
– En fait, cette date a été choisie pour remplacer la fête païenne qui célébrait le solstice d’hiver. A partir du 25 décembre, en effet, les jours commencent à rallonger et c’est cela que fêtaient encore les païens, tant que toute l’Europe n’avait pas été christianisée. Du moins c’est ainsi dans l’hémisphère Nord, où est située Rome. La fête de Noël donne lieu à de jolies traditions. Par exemple, le sapin de Noël que chaque famille dresse dans la salle de séjour de sa maison et décore, en accrochant souvent au sommet une belle étoile pour rappeler celle qui a guidé les rois mages.
– Qui étaient ces rois mages ?
– C’étaient plutôt des scientifiques, des astrologues, qui avaient vu une étoile se lever et briller, signe qu’un grand roi était né et ils ont suivi l’étoile pour aller adorer ce roi nouveau-né. Tu devines bien-sûr que ce roi était Jésus. Il existe aussi d’autres usages, comme la couronne de l’Avent, particulièrement en Allemagne. Celle-ci est confectionnée avec des branches de sapin, où sont fixées quatre bougies. L’avent, comprends-tu, est la période des quatre semaines précédant Noël. Le premier dimanche on allume une bougie, le deuxième dimanche, on en allume deux, puis trois le dimanche suivant et enfin les quatre, le quatrième dimanche ou le jour de Noël s’il survient avant. Et il y a surtout le sapin de Noël. En fait, bien avant la naissance de Jésus, pour le rite païen du solstice d’hiver, un arbre symbole de vie était décoré avec des fruits, des fleurs et du blé. … Dans la tradition chrétienne, au XIème siècle, l’arbre de Noël, garni de pommes rouges, symbolisait l’arbre du paradis. Ensuite, au XIIème siècle, la tradition du sapin est apparue en Europe, plus précisément en Alsace et en Allemagne où poussent beaucoup de conifères.
– Noël se fête-t-il sur toute la terre ?
– Au début, quelques Chrétiens le célébraient, uniquement dans l’hémisphère Nord, à partir du troisième ou du quatrième siècle. Puis lorsque les pays de cette partie du monde ont conquis ou colonisé ceux de l’hémisphère sud ceux-ci, évangélisés à leur tour, ont suivi le calendrier des fêtes chrétiennes.
Le Père Noël et son fils, tout en devisant, arrivent au traîneau. Or, alors qu’ils avaient pris soin de le camoufler soigneusement, il traîne en plein milieu d’un chemin et… Tous les paquets ont disparu ! Le Père Noël et son apprenti sont
atterrés. Totalement découragés, ils s’asseyent par terre, à même la neige, dont ils ne sentent même pas le froid. Manuel voit même son père sortir son mouchoir pour s’essuyer les yeux. C’est bien la première fois qu’il le voit pleurer et cela le bouleverse. Il voudrait tant pouvoir lui apporter du réconfort. Il décide d’aller voir s’il ne trouverait pas quelque indice et s’approche tout près du traîneau. C’est alors qu’il voit un grand fouet et une enveloppe scotchée par dessus. Il se saisit de celle-ci, l’ouvre et en tire une carte avec un dessin représentant des petits diables. Il pense aussitôt que c’est le voleur qui leur a écrit un mot. Il le parcourt rapidement, d’autant plus que celui-ci est très bref :
« Cher Collègue,
Toi et moi nous préoccupons de rétribuer les enfants. Personnellement je suis indigné par le comportement de la plupart d’entre eux et je pense qu’en aucun cas ils ne méritent qu’on leur offre un cadeau à Noël, même les plus pauvres car ce sont assurément des voleurs. Comment subsisteraient-ils avec leurs familles sans cela ? Donc, j’ai pris tous les paquets se trouvant sur ton traîneau et je vais aller les brûler quelque part. Ne me cherche pas. Ce n’est pas la peine ; tu ne me trouveras jamais. »
Signé : Le Père Fouettard.
Manuel, indigné, tente de fourrer le mot dans sa poche car il ne veut à aucun prix que son père le lise. Cela pourrait le mettre en colère au point de ne plus savoir ce qu’il dit ou fait. Mais : trop tard, le bonhomme a eu le temps d’apercevoir la carte pendant que son fils la lisait. « Eh ! Qu’étais-tu entrain de lire ? Allons, montre-moi ça. »
Le garçon est bien obligé d’obtempérer et, à regret, il tend le mot du Père Fouettard à son père. Comme il l’avait prévu, ce dernier se met en colère mais il garde toute sa lucidité.
« Ah ! L’infâme scélérat ! Brûler tous ces beaux cadeaux et priver ainsi des millions d’enfants de leur plaisir de Noël ! S’il s’imagine que je vais le laisser faire, il se trompe. Allez Manuel, on se met à sa poursuite !
« Comment cela ? Dans quelle direction ? Et qui est ce Père Fouettard ? »
« C’est vrai que je ne t’en ai pas encore parlé. C’est le descendant de toute une dynastie ennemie de la nôtre depuis des siècles. A l’origine il suivait Saint-Nicolas qui se serait bien passé de sa compagnie. En effet, alors que le saint évêque distribuait des pièces aux enfants pauvres, l’autre leur donnait des coups de fouets au motif qu’ils ne connaissaient pas assez bien leur catéchisme. De tous temps il a été l’Accusateur, une sorte de délégué du diable sur terre, ennemi de la bonté et du pardon. Il prétend que je ne le trouverai jamais, mais je devine où il veut aller. Il pense qu’il brûlera plus aisément les paquets en les jetant dans le cratère d’un volcan. Le plus proche qui soit en activité c’est l’Etna, en Italie. Il n’y a pas une minute à perdre !
-Comment le Père Fouettard se déplace-t-il ?
-A pieds, en raclant ses bottes ou ses sabots, mais il peut aller très vite. Je n’ai jamais compris comment, mais le fait est là. Nous allons, pour notre part, voler jusqu’à l’Etna. Un instant, j’installe le dispositif.
Et cinq minutes plus tard, le traîneau avec ses occupants, de même que les rennes s’envolent, suscitant l’enthousiasme de Manuel qui voit les maisons et les lumières devenir de plus en plus petites. Lorsqu’ils arrivent aux abords de l’Etna, au bout d’à peine une demi heure, ils aperçoivent le Père Fouettard qui se tient au bord du cratère et commence déjà à jeter les premiers paquets.
« Il faut le faire cesser, il n’y a pas une minute à perdre ! » S’écrie le Père Noël qui amorce la manœuvre d’atterrissage et parvient à se poser à cent mètres de leur adversaire. Manuel, avec la vigueur de ses 15 ans, s’élance le premier, vite rejoint par son père en dépit de quelque lenteur causée par son embonpoint.
« Que fais-tu donc, maudit voleur ? Arrête ça tout de suite si tu ne veux pas te prendre une raclée.
-Crois-tu m’impressionner ? Pauvre imbécile, va ! Regarde ce que j’en fais de tes cadeaux pour tous ces garnements qui ne méritent que le fouet !
Arrivés tout près du Père Fouettard, Manuel et son Père se jettent sur lui et le plaquent au sol. Puis, tandis que le Père Noël maintient son ennemi à terre, la joue plaquée contre la neige glaciale, Manuel récupère déjà quelques paquets et les porte au traîneau qu’il approche du tas. Il doit se dépêcher car le Père Fouettard, malgré le poids de son père, tente de toutes ses forces de se dégager. Et au bout d’un moment il est invité à se presser.
« Oui Papa, je me dépêche, je fais pour le mieux ; mais comme tu le sais il y a beaucoup de paquets. Au moins, il n’a pas eu le temps d’en jeter beaucoup. »
Enfin, l’adolescent a fini d’arrimer les cadeaux. Il est grand temps car le Père Fouettard est bel et bien entrain de réussir à se dégager. Il tombe sur le vilain bougre et avec un bout de cordage qu’il a pris avec lui il aide son père à ligoter l’ennemi. Il faudra un certain temps à ce dernier pour se libérer. Puis ils sautent dans le traîneau pour aller procéder à la distribution de Noël. Comme ils survolent le Nord de l’Italie et se trouvent au dessus de Turin, une idée vient au Père Noël pour rattraper le temps perdu.
« Dis, mon garçon, comme ce malheureux épisode nous a obligés à faire un crochet, je te propose de changer un peu notre programme ; nous allons nous poser par ici et porter nos premiers cadeaux. Dans cette région de l’Italie, Noël est fêté le 24 décembre. Par contre, il faudra que je reste près du traîneau au cas où l’autre scélérat aurait réussi à se libérer plus vite que prévu. »
Ils se posent dans un parc au centre de Turin. S’étant saisi d’une épaisse liasse de feuilles sur lesquelles sont inscrits les noms et adresses de tous les bénéficiaires continent par continent, pays par pays, il en tire deux qu’il donne à Manuel. En haut de la première est écrit en gros titre «Italie », puis toute une série de noms de villes.
«Faut-il porter tous les présents de tes listes d’ici le 26 ? Nous n’aurons jamais le temps ! Se récria l’apprenti du Père Noël.
-Mais si, tu vas voir. C’est une question d’organisation, ne perdons pas de temps.
Le Père Noël sélectionne les paquets d’après les adresses. Certains emballages sont encore mouillés par la neige mais ils auront le temps de sécher avant d’être ouverts par leurs destinataires le lendemain matin. Ces enfants ne sauront jamais qu’ils ont failli être privés de cadeau par un vilain bonhomme..
Et Manuel garde le traîneau, tandis que son « patron » s’en va, la liste en main, distribuer les cadeaux, sautant sur les toits ou les balcons, après avoir vérifié que les lumières sont éteintes dans les maisons ou les appartements des bénéficiaires. Pourtant Manuel, mince et agile, se serait faufilé plus aisément dans les conduits des cheminées, ce que le Père Noël en titre finit rapidement par réaliser. Aussi, délègue-t-il à son apprenti cette tâche salissante. Cela présente l’avantage que son costume ne soit pas sali. Pourtant Manuel arbore une jolie tenue, toute rouge, bordée de fins liserés de fourrure blanche.
Heureusement, il lui suffit souvent d’ouvrir les fenêtres et portes-fenêtres et de disposer les présents sous les sapins au dessus des petits souliers des enfants, sans faire le moindre bruit. Par chance, pour Noël il n’y a pas à s’occuper de la Russie car, outre la Saint-Nicolas, ce pays, étant majoritairement orthodoxe, on y fête plutôt l’Epiphanie le 6 janvier. Durant toute la nuit, le Père Noël et son apprenti s’activent. Après le Nord de l’Italie, ils couvrent l’Allemagne, la France et presque tous les pays d’Europe latine, puis l’Océanie et l’Asie. Espérant que le Père Fouettard ne le retrouvera pas et ayant constaté que, malgré toute son ardeur au travail et sa rapidité, Manuel ne peut assurer la distribution à lui tout seul, Papa Noël cesse de garder le traîneau et se joint à l’adolescent. Ils vont ainsi beaucoup plus vite car il connait par cœur des dizaines d’adresses et se charge de certains quartiers dans les grandes villes telles que Pékin, Shangaï, Canton, Hong-Kong en Chine, Tokyo au Japon, Daewoo, aux Philippines, Sidney, Melbourne ou Brisbane en Australie. Ensuite, ils volent vers le continent américain. Aux premières lueurs de l’aube, ils arrivent en Argentine, à 10 heures ils sont à Rio de Janeiro, et à la fin de la matinée ils atteignent le sud des Etats-Unis, au Texas, pour être plus précis. Les grandes villes en sont Dallas et Austin. Puis ils passent en Californie à Los-Angeles et San Francisco. Bien sûr, dans tous ces pays, ils distribuent aussi leurs paquets dans les petits villages. En montant plus au Nord des Etats-Unis, les choses se compliquent car les endroits enneigés succèdent aux zones déneigées. Sans cesse ils doivent passer des skis aux roulettes sous le traîneau et cela les retarde. Ils passent ainsi péniblement de Chicago à Boston puis à New-York pour arriver au Sud du Canada dans le début de la soirée…. Toute la nuit, dans le froid, ils distribuent les cadeaux. Manuel doit renoncer à s’introduire dans les maisons par les cheminées, car les habitants y font du feu de bois et il n’a guère envie de se rôtir le postérieur à l’arrivée… Ce n’est qu’à 5 heures du matin, le 26, qu’ils en ont terminé avec le Canada. Reste l’Afrique. Pauvres Africains ! Une fois de plus, ils sont les derniers servis. Par chance, le Père Fouettard n’a pas eu le temps de jeter beaucoup de cadeaux
et le Père Noël s’est arrangé pour faire porter le déficit sur les pays d’Europe occidentale et les régions des Etats-Unis plus favorisés. Pour changer de continent, une fois de plus, notre bon Père Noël, après avoir libéré les Rennes auquel il prodigue maintes caresses pour leur dire au revoir, adapte des ailes à son traîneau au dessus des cadeaux qui restent à distribuer. Leur véhicule se transforme de nouveau en avion et survole les océans pour venir atterrir en Côte d’Ivoire. Sur ce continent, il n’y a de neige que sur les pentes du Kilimandjaro qui est un grand volcan. Après l’atterrissage, les roulettes sont vite installées et la distribution des cadeaux peut commencer. Il n’y a pas de cheminée en Afrique et il suffit de déposer les présents devant les portes des habitations, cases, ou appartements dans les grandes villes ; parfois il offre leurs cadeaux aux enfants dans la rue. Le travail est donc plus simple et rapidement abattu, même si les zones de distribution sont souvent dispersées. Par exemple, dans la jungle équatoriale, les villages sont disséminés et difficiles d’accès. Quant au Nord de l’Afrique, au Maghreb, il se trouve quelques chrétiens et certains enfants musulmans lui écrivent une lettre pour avoir leur cadeau. Après tout ils y ont bien droit, le Père Noël est convaincu que Dieu, Yaveh et Allah sont un seul et même Dieu avec des noms différents tout comme les langues et les cultures des hommes qui les adorent. A Tunis, il profite de sa mission pour visiter la cathédrale Saint-Vincent. Partout, les enfants sont heureux de recevoir un cadeau et ne songent pas à protester contre le retard dont ils ne s’aperçoivent même pas. Le Père Noël et son apprenti terminent par les pentes du Kilimandjaro en haut desquelles il faut repasser des roulettes aux skis. Le 26 décembre à 17 heures, la distribution de Noël est achevée. Ils vont pouvoir faire une pause. Le Père Noël projette d’aller sur une belle plage pour se dorer au soleil et bien au chaud. Cela le changera du Pôle Nord ! Il y emmène son fiston sans rien lui dire pour lui faire la surprise. Au préalable, il a rangé son costume et sa fausse barbe blanche dans la hotte solidement fixée sur le traîneau qui est habilement camouflé. De toute façon, le Père Fouettard est sûrement trop stupide pour imaginer où ils sont en cet instant. Et le Père Noël se retrouve en bermuda et chemisette arborant de superbes lunettes de soleil qui masquent son visage ; il est bien méconnaissable et Manuel est stupéfait. Son père, amusé de cet étonnement, lui tend une tenue similaire ; comme il a pris un maillot de bain pour lui-même et pour Manuel, ils pourront tous les deux prendre des bains de mer et se sécher au soleil. Ils n’ont même pas besoin de serviette, habitués qu’ils sont aux températures glaciales du Pôle Nord… Ils s’accordent quelques jours de vacances pour la fin de l’année et le 1er de l’an. C’est bien mérité. Il n’y a vraiment pas de raison pour que le Père Noël soit sans cesse condamné à grelotter au Pôle Nord sans prendre de vacances, avec tout le travail qu’il accomplit pour la plus grande joie des enfants.
Chapitre IV
L’Epiphanie
Les meilleures choses ayant une fin, le Père Noël et son apprenti sont bien obligés de quitter leur petit paradis dès le 3 janvier pour gagner le sud de l’Europe puis le Proche-Orient, où l’Epiphanie était célébrée. Manuel demande à son père pourquoi certains Chrétiens fêtent Noël plus tard que les autres.
« Parce que, vois-tu, des Rois Mages sont venus adorer Jésus ; mais comme ils venaient de loin, ils sont arrivés à Bethléem bien après le 25 décembre. La Tradition fixe leur venue au 6 janvier et dans les pays où cette date ne correspond pas à un jour férié, cette fête tombe le deuxième dimanche après Noël.
-Bethléem ? Où est-ce ?
-C’est un village proche de Jérusalem. C’est là qu’est né Jésus.
-Il est vraiment né à Bethléem ?
-C’est ce qui est écrit dans la Bible, mon fils. Il est précisé qu’il est né dans une étable parce qu’il n’y avait pas de place dans l’auberge. Ses parents l’ont déposé dans une mangeoire qui contenait de la paille.
-Qu’est-ce que la Bible ?
-Oh, tu recommences avec tes questions ! La Bible, d’après mes connaissances, est un livre, ou plutôt une collection de livres, qui sont les Ecritures Saintes des Chrétiens. Les cinq premiers correspondent aux Ecritures saintes des Juifs. C’est la Torah.
-Qu’est-ce que les Juifs ?
-Et voilà ! Encore une question ! Sache que les Juifs se distinguent des Chrétiens parce qu’ils ne croient pas à la divinité de Jésus. Ils le reconnaissent seulement comme prophète. »
Et voyant Manuel ouvrir la bouche pour poser encore une question, le Père Noël lui plaque la main contre la bouche et répond à celle que ce dernier n’a pas eu le temps de poser.
« Un prophète, petit, est un homme inspiré par Dieu. Il parle en son nom pour faire connaître son message qui est généralement un avertissement pour que les hommes changent leur conduite.
-Merci Papa. Mais comment savais-tu que j’allais te poser cette question ?
-Parce que je te connais ! A peine ai-je fini de prononcer un mot que tu me demandes sa signification !
-Pas pour tous.
-Soit. Du moins, dès que je te parle de quelque chose pour la première fois. Bon je continue au sujet de Jésus. Un prophète avait annoncé qu’il naîtrait à Bethléem et l’Evangile de Luc confirme que c’est bien là qu’est né Jésus.
-Bien. Devons-nous aussi aller à Bethléem ?
-Entre autres, mais pas seulement. L’Epiphanie est particulièrement fêtée et donne lieu à l’offre de cadeaux dans plusieurs pays : en Espagne, en Arménie, dans le sud de l’Italie, en Amérique Latine, ainsi qu’à Jérusalem, en Russie, en Géorgie, en Serbie et au Mont Athos. Mais nous n’aurons pas à nous rendre dans ce dernier lieu car il n’y a que des hommes adultes qui ne croient évidemment plus au Père Noël. Et sais-tu que, selon certaines traditions, les Rois Mages seraient au nombre de trois et auraient des prénoms : Gaspard, Melchior et Balthazar. Toutefois, certains affirment qu’il s’agit plutôt de savants
ou d’astrologues venus d’Orient. Le problème avec l’Epiphanie, c’est que nous devrons effectuer beaucoup de déplacements car les lieux où elle remplace Noël sont très dispersés.
-L’épiphanie n’est-elle plus fêtée ailleurs ?
-Oh si ! Mais dans les autres pays, il n’y a pas de cadeau. Les gens se contentent de fêter les rois avec une galette à la frangipane, ou avec une brioche aux fruits confits, contenant une fève. Celui ou celle qui la trouve dans sa part est couronné roi pour un jour. Il arrive souvent que les adultes trichent pour que ce soient des enfants qui aient la fève et soient rois ou reines. Et les petits partagent la royauté avec celui de leur parent du sexe opposé.
-C’est bien sympathique ; et ça nous évite du travail.
-Flemmard, va. Pour l’instant, allons d’abord à Bethléem puis à Jérusalem qui en est toute proche ; ensuite il faudra se rendre en Italie puis en Europe de l’Est. Enfin, nous n’aurons qu’à nous envoler jusqu’en Amérique Latine. Nous devrons tout distribuer en 24 heures. Mais c’est faisable, car nous n’aurons pas à nous glisser dans les cheminées, il suffira de déposer les cadeaux devant les maisons ou les appartements. Et en ce qui concerne le Père Fouettard, il est trop ignare pour savoir que nous distribuons des cadeaux pour l’Epiphanie, donc je ne suis pas inquiet.
Ils regagnent le traîneau qui s’est bien allégé. Comme ils ont laissé les Rennes au Canada, ces animaux ne supportant pas la chaleur qui règne sur le continent africain, ils doivent se procurer d’autres bêtes pour tirer leur véhicule. Comme chaque année, le Père Noël opte pour des ânes. Le traîneau du Père Noël tiré par des ânes ? Voilà qui est loin du cliché habituel ! Et pourquoi pas ? Ce sont des animaux humbles et doux. Après les avoir attelés sans peine, le Père Noël et son apprenti s’installent et un claquement de langue fait démarrer les ânes. Ils filent bravement jusqu’à Bethléem où leurs deux maîtres assistent discrètement à l’adoration des Mages avant de se rendre à Jérusalem toute proche. Là, ils procèdent à la première distribution de l’ultime tournée. Mais, arrivés à Naples, alors qu’ils distribuent des présents voilà qu’ils aperçoivent… Le père Fouettard attablé à la terrasse d’un café ! Vite ils se cachent derrière un camion. Trop tard ! Comme leur adversaire s’est retourné en percevant leur agitation, il les a vus. Aussitôt il se lève et s’élance à leur poursuite sans prendre le temps de payer son repas. Le Père Noël et son apprenti prennent leur jambe à leur cou et courent droit devant eux, Manuel se retourne de temps en temps et peut voir leur ennemi à environ vingt mètres derrière eux. Il faut à tout prix le semer. C’est alors qu’il voit une petite rue sur leur droite. Il y entraîne son père. Par chance ils sont arrivés dans un labyrinthe de ruelles. Continuant leur course, ils prennent à droite puis à gauche et finissent par se faufiler dans une échoppe où ils demandent à se cacher dans l’arrière boutique. Le propriétaire consent, espérant sans doute y gagner quelque cadeau. Le Père Noël reconnaissant lui en offre quelques uns pour ses enfants puis reste caché un moment avec Manuel. Pendant ce temps leur poursuivant les cherche en tous sens. Ils l’ont bel et bien semé. L’alerte a été chaude. Au bout d’une demi-heure ils sortent dans la rue où ils distribuent des friandises tout en surveillant les alentours pour ne pas se trouver nez à nez avec ce satané Père Fouettard. Mais leur méfiance attire l’attention d’un agent de police qui trouve leur attitude quelque peu suspecte et vient contrôler leurs identités
Nouvelle complication : le Père Noël n’a pas de carte d’identité. A quoi cela servirait-il ? Tout le monde le connaît ! Mais le fonctionnaire ne veut rien savoir et emmène les deux quidams au poste de police. Heureusement, le commissaire est un brave homme ; il reconnaît tout de suite le Père Noël et ordonne de le relâcher ainsi que son apprenti. Après cette perte de temps, ils retournent en tout hâte à leur traîneau pour y puiser d’autres présents. C’est alors que le Père
Fouettard leur tombe à nouveau dessus ! Ils ne s’en débarrasseront donc jamais ! Quelle malédiction ! Le Père Noël redoute qu’il ait pu voir le traîneau. Pourvu que ce vilain personnage ne réussisse pas à leur dérober à nouveau son chargement. Manuel, dans sa course, a le temps d’apercevoir un étang. Il cherche donc à entraîner leur adversaire vers cette étendue d’eau dans le but de l’y faire tomber. Le Père Noël, quant à lui est essoufflé ; il laisse l’adolescent plein de vigueur se débrouiller. Ce dernier promène le Père Fouettard en se dirigeant insensiblement vers l’étang. Puis avisant une pente un peu raide il court tout droit vers elle puis, arrivé tout au bord de l’étang, s’agrippe à un arbre, alors que son ennemi, entraîné par son poids, dévale la pente et tombe dans l’eau ; pour comble, en tentant de reprendre pied, il se prend dans les algues. Il n’est pas près de se sortir de cette situation critique. Entre temps, le Père Noël vient d’arriver, sans trop se presser, au bord de l’étang. A la vue du Père Fouettard empêtré, il éclate de rire et se moque de son ennemi. Manuel, pragmatique, l’entraîne et l’invite à se presser pour retourner au traîneau car il lui paraît prudent de le déplacer. Néanmoins son père prend le temps de le féliciter pour ce bon tour joué au vilain bougre. Cet incident lui a servi de leçon : il ne faut jamais sous-estimer son adversaire et les effets de malencontreux hasards …! Enfin, ils en finissent avec la distribution à Naples et, suivant un itinéraire précisément établi, ils peuvent porter les cadeaux restants à leurs bénéficiaires dans toutes les régions concernées par l’Epiphanie, en toute discrétion.
Lorsque tout est distribué, le Père Noël pousse un soupir d’aise. Ils ont accompli leur mission dans les temps. Ils peuvent à présent retourner au Pôle Nord pour faire la fête à leur tour. Le Père Noël et son épouse ont préparé des présents pour leurs trois garçons : un sac à dos pour Manuel, un harmonica pour Elies et un chiot pour Jérémy. Ils en seront sûrement enchantés Evidemment, pour ces derniers il n’y a pas de mystère autour du Père Noël puisqu’ils le connaissent bien. Pour l’heure, il faut hélas se séparer des gentils ânes avant de s’envoler pour l’Europe du Nord. Après avoir survolé la Méditerranée puis plusieurs pays, ils se posent en Norvège, où le Père Noël est certain de trouver sans peine des Rennes pour tirer le traîneau. Et justement, à peine ont-ils atterri, en bordure d’une forêt, qu’ils aperçoivent un groupe de ces cervidés qui s’approche d’eux, nullement effrayés. Le Père-Noël et son apprenti, assis sur le traîneau, les laissent venir jusqu’à eux et après leur avoir prodigué quelques caresses, ils les attellent. D’un claquement de langue, Manuel, que son père pour le récompenser, a autorisé à conduire le traîneau, fait démarrer celui-ci. Il est tout rouge de fierté à l’idée de rentrer chez eux les rênes en main. En chemin, son père avise un sapin dénudé qui traîne sur le bord de la route. Il fait stopper l’attelage et le récupère pour l’arrimer sans peine à côté de la hotte désormais vide. Eve dispose du nécessaire dans l’igloo pour rendre sa splendeur à ce pauvre sapin abandonné. Après leur longue expédition, quand ils arrivent devant leur demeure, ils appellent Eve, Elies et Jérémy :
« Coucou ! Nous sommes rentrés ! »
Ils sont accueillis avec des cris de joie par l’épouse et les jeunes frères qui attendent avec impatience le retour des ouvriers de Noël. Manuel admire l’igloo artistement décoré par sa mère, au dehors comme au-dedans. Par chance, il reste assez de guirlandes électriques pour décorer le sapin qu’ils apportent. Le soir, ils font une belle fête. Eve a fait cuire une superbe dinde et confectionné une bûche aux trois chocolats. Comment se les est-elle procurés ? Mystère !
Chapitre V
Les mois et les années passent, Manuel devient un homme et succède à son père, devenu trop âgé pour pratiquer le rude métier de Père Noël. Heureusement, Elies et Jérémy qui ont tour à tour atteint l’adolescence et l’âge adulte le secondent, comme apprentis puis comme associés. Désormais les tournées de Noël sont assurées par les trois frères. Pour commencer, ils établissent les listes des enfants, pays par pays tout comme l’avaient pratiqué leurs parents. Manuel songe souvent à tout ce que son père lui avait raconté sur l’enfant Jésus et les Chrétiens. A la réflexion, même si de fervents chrétiens se sont opposés, durant des siècles, au Père Noël, et ont dénoncé les pratiques de certains comme une déviance païenne, celui-ci est bien un pur produit du Christianisme puisque ce sont des fidèles de cette religion qui ont institué la fête de Noël. Et les coutumes à l’occasion de ces réjouissances de fin d’année font régner dans les pays chrétiens une ambiance chaleureuse, Noël devenant la fête des enfants même pour certains non chrétiens…
Manuel et ses deux frères ont un cousin, Samuel, qui vit dans un pays tempéré mais vient souvent leur rendre visite, car il aime particulièrement contempler les aurores boréales. Il arrive habituellement au mois de juin, lorsque le soleil ne se couche jamais au Pôle Nord et amène avec lui des amis. Et ce qui devait arriver arrive. Lors d’une de ses visites, parmi ses copains, se trouve une jeune femme avec laquelle Manuel sympathise particulièrement. Lorsque vient le moment pour elle de rentrer, en se quittant ils échangent leurs coordonnées. Ils s’écrivent, se téléphonent et Manuel la persuade de revenir au solstice de l’été suivant. Ils tombent ainsi amoureux et finissent par se marier. Joanne se plait au Pôle Nord et apprécie l’ambiance chaleureuse de la famille de Manuel. Ils ont deux filles, Sophie et Emilie à deux ans d’écart. Elies rencontre lui aussi une femme qui trouve le chemin de son cœur, mais comme cela se produit lors d’une tournée de Noël, il décide de s’établir dans la région de son épouse, à l’Est de la France, où les hivers sont assez rudes. Ainsi il ne sera pas trop dépaysé.
Les premières années, quand les petites voient Manuel, Père-Noël en titre, les laisser avec leur mère pour de longues semaines, au plus noir de l’hiver, elles se désolent et pleurent. D’autant qu’il part avec leur oncle Jérémy et les rennes. Il n’y a plus d’homme à la maison. Puis, comme Elies et Jérémy des années auparavant, elles envient l’une après l’autre, les voyageurs qui partent en tournée, le traîneau chargé d’une multitude de cadeaux et tiré par les rennes qui courent dans la neige. Comme il avance en âge et doute de ses chances d’avoir enfin un garçon, Manuel se décide à enseigner le métier de Père Noël d’abord à Sophie puis à Emilie. Aidé de Jérémy, Manuel enseigne la lecture et l’écriture aux petites, de même que le calcul et toutes les matières utiles pour leur futur métier. Puis il leur apprend à confectionner de jolis paquets avec du papier brillant et en frisant le ruban qui les fixe. Elles apprennent de même à grimper et descendre le long de l’échelle, à porter des poids, à patiner, à guider les rennes pour tirer le traîneau et surtout à les nourrir et les soigner. Chacune à son tour attend avec impatience de pouvoir accomplir le long périple pour distribuer les cadeaux aux enfants. Manuel pense souvent à son père en souriant : le Père Noël en titre sera bientôt une femme !
Sophie est solidement charpentée et forte comme un homme. Devenue apprentie, elle n’éprouve aucune peine à porter la hotte et les gros paquets. Quand arrive le tour d’Emilie, plus svelte, elle se faufile aisément dans les cheminées et possède une technique imparable pour ne pas dégringoler dans les âtres. Toutes les deux forment un tandem de choc quand Manuel puis Jérémy finissent par prendre leur retraite : Ce sont les Mères Noël ! Leurs rennes qui forment, eux aussi, une dynastie, ont des petits qui grandissent et sont, à leur tour, attelés au traîneau et ainsi de suite. Les deux sœurs aiment cajoler leurs bêtes et dorment avec elles la nuit pendant la tournée de Noël. Mais un beau jour, qui rencontrent-elles ? Le Père Fouettard, bien sûr ! Si ce dernier est bien étonné de voir des femmes exercer le métier de Père Noël, il se réjouit car il s’imagine que des femmes ne sauront pas lui tenir tête ni le contrer dans ses entreprises malveillantes. Feignant l’amabilité, il leur propose de garder leur traîneau pendant qu’elles distribuent les cadeaux. Mais pour qui les prend-il ? Manuel a pris soin de les mettre en garde contre ce méchant personnage et le leur a décrit de façon à ce qu’elles le reconnaissent à coup sûr. Les Mères Noël, dûment averties déclinent poliment la proposition et passent leur chemin après un signe de salutation aimable… Dépité, le Père Fouettard n’en renonce pas moins à ses sombres projets. Il succède à celui qui avait fini piteusement dans un étang saumâtre et lui a promis de le venger. La seule vertu du Père Fouettard, de tout temps, est de tenir ses promesses… Il mûrit donc un plan d’action et ces dames ne perdent rien pour attendre. Et voici que, comme leur père et leur grand père l’ont fait avant elles, elles viennent trôner fièrement devant la boutique de jouets qui affiche toujours la pancarte : « Ici, vous pouvez rencontrer le VRAI PERE NOEL. » Le Père Fouettard qui les a suivies voit là une occasion idéale pour gâcher la fête : sans perdre un instant, le vilain bonhomme se déguise en père de famille tout ce qu’il y a de plus ordinaire et arrive dans la rue commerçante en feignant de chercher son enfant. Il vient se planter devant la Mère Noël qui tient une petite fille sur ses genoux et s’écrie : «Ma chérie, ma petite fille, je te retrouve enfin ! » La Mère Noël et le véritable papa se regardent, interloqués ; qui est cet homme et que veut-il ? La situation est bien embarrassante. C’est le papa qui réagit le premier et demande : « Que racontez-vous là ? Je suis le père de cette enfant ! » Sans se démonter, le Père Fouettard dénie l’affirmation et prétend avec insistance que c’est lui le père de la petite ; il ajoute : « Je vais porter plainte pour kidnapping ». L’autre proteste et comme le ton monte, le commerçant sort de son magasin pour s’enquérir de la situation, tandis que des policiers s’approchent. La fillette, inquiète, se met à pleurer car elle ne veut pas être séparée de son papa. Voilà une fâcheuse ambiance pour un soir de Noël ! Sophie, la Mère Noël, essuie ses larmes avec un joli mouchoir brodé tandis qu’Emilie lui murmure doucement : « Lequel est ton papa ? Tu dois bien le savoir, toi ». Rassurée par cette marque de confiance, la petite cesse de pleurer et, du doigt, désigne son père. Mais l’un des policiers, se méprenant sur le sens du geste de l’enfant, saisit l’homme et lui dit d’un ton autoritaire :
« Police, levez les mains, je vous arrête !
-Mais non ! S’écrient en chœur Sophie et Emilie, celui-ci est le vrai père ! C’est l’autre type qu’il faut emmener au poste pour lui demander de s’expliquer.
-Bon, je connais mon métier, tout de même, bougonne l’agent, comme son collègue arrive derrière lui. Ces deux messieurs vont nous suivre au commissariat pour s’expliquer afin que nous mettions tout cela au clair. »
Sophie intervient :
« Si vous le permettez, nous désirons venir aussi au commissariat, ne serait-ce que pour nous occuper de la petite.
-C’est d’accord, suivez-nous avec elle ; vous en êtes responsables pendant le trajet. »
C’est ainsi que tout le monde se retrouve dans les locaux de la police. Après avoir interrogé les deux prétendus pères et fait témoigner l’enfant, il est vite établi que le vrai est celui que l’enfant a désigné aux Mères Noël. Ces dernières sont remerciées pour leur concours. Quant au Père Fouettard qu’elles ont reconnu, il est enfermé dans une cellule en attendant un nouvel interrogatoire en présence d’un avocat. Il sera sûrement remis à la justice pour tentative d’enlèvement d’enfant.
Après cet épisode qui les a un peu retardé, les Mères Noël peuvent procéder à la distribution des cadeaux et le 26 avant l’aube tout est réglé jusqu’à la tournée de l’Epiphani
La succession du Père Noël s’est perpétuée et féminisée et le Père Fouettard n’a pas réussi à mettre les mères noël en échec.