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prédication « la nuit s’est avancée »
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prédication sur un cantique
Prédication
Aube nouvelle,
Peuples qui marchez dans la longue nuit,
quand s’éveilleront nos coeurs …
que serait notre temps de l’avent – et encore plus le temps de Noël – ,
sans les cantiques qui accompagnent ce temps,
sans ces cantiques dont nous mémorisons au moins quelques bribes de textes,
et dont nous avons la mélodie à l’oreille ?
Je les aime bien ces cantiques et ils m’accompagnent depuis un certain temps,
mais j’ai dû laisser derrière moi
ces cantiques que je chantais autrefois lors de nos cultes en Allemagne
et que l’on chante encore là-bas.
C’est vrai, parfois, nous retrouvons les mêmes cantiques dans nos recueils germano et francophones, ou les mêmes auteurs et compositeurs, parfois non.
Mais j’ai envie de vous présenter aujourd’hui, en guise de prédication, un cantique de l’avent allemand qui me revient souvent à l’esprit. J’ai aussi envie de vous présenter l’auteur qui va avec.
L’auteur c’est Jochen Klepper (1903-1942). Il est décédé le 11 décembre 1942, donc il y a 80 ans. La date, 1942, n’est pas anodine. J’y reviendrai plus tard.
Juste pour vous dire que Klepper marque vraiment les esprits allemands protestants, car on trouve au moins 12 cantiques de lui dans le recueil des églises protestantes. Il est en troisième position des cantiques publiés, juste devancé par Martin Luther (16e siècle) et Paul Gerhardt (17e siècle).
On va écouter une fois la mélodie et vous avez le texte allemand et la traduction sous les yeux.
1
Die Nacht ist vorgedrungen, der Tag ist nicht mehr fern.
So sei nun Lob gesungen dem hellen Morgenstern!
Auch wer zur Nacht geweinet, der stimme froh mit ein.
Der Morgenstern bescheinet auch deine Angst und Pein.
La nuit est avancée, le jour n’est plus très loin.
Chantez donc des louanges à l’Étoile du matin !
Même celui qui pleure se joint à nous, heureux.
L’étoile se lève sur ton angoisse et ta peine.
Jochen Klepper, fils de pasteur, se lance à son tour dans les études de théologie. Il s’intéresse également à la culture du théâtre, la musique, la littérature. Les années 20 sont des années d’un grand élan et d’énergie où l’art est très créatif et se développe beaucoup. Le jeune Jochen Klepper aspire à cette énergie et cette liberté qui lui fait du bien. Malheureusement c’est aussi une époque problématique. Ce temps après guerre va connaître de grandes crises économiques. Vers la fin des années 20, la famille n’arrive plus à lui financer ses études. Il commence à vivre par son don littéraire, en publiant des articles dans les journaux, mais aussi en écrivant des poèmes et des textes littéraires.
Aussi révèle-t-il avec le temps une fragilité qui l’habite. Durant ses années au lycée ses parents l’avaient confié à un ami de la famille qui héberge et s’occupe déjà d’autres garçons. Nous avons le journal de Klepper qu’il a écrit pendant de longues années, et bien qu’il se confie beaucoup à son journal, même là, il ne trouve pas les mots pour dire ce qu’il a subi par ce parrain. Mais en lisant à travers les lignes, nous imaginons bien un abus de pouvoir et très probablement des abus sexuels. Sur 12 jeunes du lycée confiés à cet homme, 5 vont se suicider plus tard. Klepper, qui avait tellement essayé de passer à autre chose dans sa vie, rencontre de plus en plus de problèmes de santé, jusqu’à se retrouver victime d’un épuisement psychique total en 1926. Il lui faut des mois pour s’en remettre. Impossible de s’ouvrir à sa famille pour dire ce qui le hante, il retrouve une forme d’expression dans l’écriture.
Peut être alors que ce passage de la première strophe est donc du vécu :
Même celui qui pleure se joint à nous, heureux.
L’étoile se lève sur l’angoisse et la peine.
2
Dem alle Engel dienen,
wird nun ein Kind und Knecht.
Gott selber ist erschienen zur Sühne für sein Recht.
Wer schuldig ist auf Erden,
verhüll nicht mehr sein Haupt.
Er soll errettet werden,
wenn er dem Kinde glaubt.
Celui au dessus des anges
se fait enfant et serviteur.
Dieu même nous efface
nos fautes et nos erreurs.
Que même le plus coupable
ne se voile plus la tête.
Dieu promet le salut
à ceux qui croient en lui.
3
Die Nacht ist schon im Schwinden,
macht euch zum Stalle auf!
Ihr sollt das Heil dort finden,
das aller Zeiten Lauf von Anfang an verkündet,
seit eure Schuld geschah.
Nun hat sich euch verbündet,
den Gott selbst ausersah.
La nuit prendra fin bientôt,
levez-vous pour aller voir.
A l’étable vous allez trouver
le salut tant attendu.
Annoncé depuis des siècles ,
depuis le début des temps,
enfin Dieu a tranché et
fait alliance avec nous.
En deux strophes, Klepper résume toute la théologie du salut.
Il décrit ici avec des mots simples ce qu’on appelle la kénose, une expression qui signifie que Dieu se dépouille de certains attributs de sa divinité pour accepter toutes les conséquences de l’humanité, ainsi que toutes les fragilités.
Klepper décrit l’alliance et la voit surtout sur un plan personnel : Dieu se met de notre côté, Emmanuel, Dieu avec nous. Puisqu’il est avec nous, ce qui menace de nous séparer de lui, comme les péchés, perd sa force. En dernière conséquence nous pouvons compter sur son soutien fidèle.
Et, tout au long de ce chant, il s’adresse à un vis-à-vis anonyme, en l’encourageant à aller voir et à découvrir lui-même cette promesse. La théologie du salut n’a aucune importance si elle reste une hypothèse. Elle doit être vécue. Cette expérience est existentielle pour chacun et chacune d’entre nous.
4.
Noch manche Nacht wird fallen auf Menschenleid und -schuld.
Doch wandert nun mit allen der Stern der Gotteshuld.
Beglänzt von seinem Lichte, hält euch kein Dunkel mehr,
von Gottes Angesichte kam euch die Rettung her.
Sur toutes vos misères viendront bien d’autres nuits,
mais Dieu dans vos ténèbres vous guide et vous conduit.
Que peut sur vous l’abîme et son obscurité ?
Déjà vous êtes libres,
car Dieu vous est donné.
5
Gott will im Dunkel wohnen
und hat es doch erhellt.
Als wollte er belohnen,
so richtet er die Welt.
Der sich den Erdkreis baute,
der lässt den Sünder nicht.
Wer hier dem Sohn vertraute, kommt dort aus dem Gericht.
Dieu habite les ténèbres,
et pourtant il les éclaire.
Pour venir à notre aide,
il juge la terre.
Le créateur du monde
ne la laisse pas au péché.
Celui qui fait confiance
s’en sortira indemne.
Ce sont des strophes qui respirent la confiance et l’espérance.
Klepper dit bien qu’il faut s’attendre dans la vie à des nuits, à des misères et des soucis encore bien difficiles, mais que nous ne serons pas seuls pour les affronter.
Pour mémoire. Il écrit ce texte en 1938.
L’Allemagne, et ensuite le monde entier, va plonger dans des obscurités et des atrocités inimaginables. Klepper s’en doute, mais certainement, il est loin de voir toute la dimension de ce qui se prépare.
En 1931 il s’est marié avec Johanna Stein, une veuve juive, mère de deux enfants, 13 ans plus âgés que lui. La famille de Klepper est tellement scandalisée qu’elle ne vient même pas au mariage.
Mais Jochen Klepper l’aime tellement qu’il dit : « si je ne peux pas l’épouser, je vais mourir. » Il fait son choix, suit son cœur et accepte la distance créée ainsi avec sa famille.
Au lendemain de la » prise de pouvoir » de Hitler, le 31 janvier 1933, on peut y lire l’inscription suivante dans son journal : « Hitler est chancelier du Reich. Une fois de plus, l’alliance la plus funeste a été réalisée, (…) le plus grand danger allemand : l’alliance entre la noblesse et le populisme. A la radio (Klepper travaille comme journaliste à la radio), nous devons tous nous attendre à être licenciés. Sur la maison de la radio, le drapeau à croix gammée ! Ce que l’on nous fait subir maintenant en termes d’antisémitisme est terrible. Même les soirées Beethoven de Schnabel ont dû être supprimées tout à coup. Et ce, au moment même où l’université d’Oxford lui décerne le titre de citoyen d’honneur pour son interprétation unique de l’art allemand ».
Klepper, marié à une femme juive, ne peut continuer à travailler en restant anonyme. Il écrit des émissions et les publications qui seront imprimées sous d’autres noms et il sera de moins en moins reconnu pour son travail, jusqu’à son licenciement définitif.
Durant cette période il écrit : « Mais le fait que j’aie ma foi – je l’écris de manière lapidaire et calme. C’est le cadeau de ma vie. Ce don qui vous a été fait au prix de souffrances effectives et qui rend muette la question de la faute et du mal, bien que vous viviez quotidiennement la faute et le mal. » (14.3.1933)
Les années passent. Il trouve de nouveau du travail. Est-il trop confiant ? A partir de 1940 la famille songe désormais à quitter l’Allemagne comme tant d’autres avant eux. Mais c’est déjà trop tard. Il faut avoir des papiers et un pays qui veut bien d’eux. Enfin, une fille, Brigitte, part en Angleterre. Décembre 1942. Un diplomate suédois voit une possibilité pour les accueillir en Suède … s’ils obtiennent les papiers pour partir. Mais au ministère responsable on lui fait comprendre que seul un divorce pourrait le protéger, lui, pas elle… peut être, l’autre fille, Renate, peut être pas. C’est hors de question.
Klepper dans son journal :
Il sait que je ne peux pas lui faire ce serment comme Luther l’a fait : « S’ils prennent le corps, les biens, l’honneur, l’enfant et la vie, qu’ils y aillent. – Corps, biens, honneur – oui ! » Mais Dieu sait aussi que je veux tout accepter de lui en matière d’épreuve et de jugement, si je sais seulement que Hanni et l’enfant sont provisoirement en sécurité. (8.12. 1942)
Klepper retourne voir l’administration, prêt à les supplier, prêt à y mettre tout son courage, pour qu’on les laisse partir ensemble. Et il tombe sur le fonctionnaire de service de ce jour : un certain Adolf Eichmann. (connu pour son procès après la guerre, bien documenté par Hannah Arendt)
Et Eichmann, ce « bon fonctionnaire obéissant», bien sûr, ne se laisse pas convaincre.
Klepper comprend qu’il n’y a pas d’issue.
Sortant de là, dans la nuit du 10 au 11 décembre 1942, Hanni Stein, Renate Stein (sa fille) et Jochen Klepper s’assoient à leur table de cuisine, ouvrent la cuisinière à gaz et se dirigent ensemble vers la mort.
Peu avant, Klepper écrit la dernière note dans son journal, la seule note qui ne soit pas accompagnée d’un verset biblique : «L’après-midi, la négociation au service de sécurité. Nous mourons maintenant – ah, cela aussi est écrit par Dieu – Nous allons ensemble à la mort ce soir. Au-dessus de nous, dans les dernières heures, se tient l’image du Christ bénissant, qui lutte pour nous. C’est sous son regard que notre vie s’achève. »
Il y a 80 ans que Jochen Klepper meurt avec son épouse et sa fille.
Difficile de juger. Est-ce un acte de désespoir ou alors témoignage de confiance en Dieu ?
Dans une situation où personne ne voulait les accueillir ou leur laisser une place de vie,
ils confient leur vie à Jésus,
mort injuste dans la souffrance, mais ressuscité par la volonté de Dieu.
Dans la nuit du Christ il y a eu un secours, pourquoi pas pour eux ?
comme écrit quatre ans auparavant :
4 Beglänzt von seinem Lichte, hält euch kein Dunkel mehr,
von Gottes Angesichte kam euch die Rettung her.
Eclairés par sa lumière, aucune obscurité ne vous retient,
Sous le regard de Dieu vous êtes sauvés.
Amen