Qui est mon prochain ? l’exemple du Samaritain

Gustave Moreau, Le Bon Samaritain, vers 1865
© Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt
Lecture : Luc 10, 25-37
25Un spécialiste des Écritures intervint alors. Pour tendre un piège à Jésus, il lui demanda : « Maître, que dois-je faire pour recevoir la vie éternelle ? » 26Jésus lui dit : « Qu’est-il écrit dans notre Loi ? Comment le comprends-tu ? » 27Il répondit : « “Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de tout ton être, de toute ta force et de toute ta pensée.” Et aussi : “Tu aimeras ton prochain comme toi-même.” » 28Jésus lui dit alors : « Tu as bien répondu. Fais cela et tu vivras. » 29Mais le spécialiste des Écritures voulait se justifier. Il demanda donc à Jésus : « Et qui est mon prochain ? » 30Jésus répondit : « Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho lorsque des brigands l’attaquèrent, lui prirent tout ce qu’il avait, le battirent et s’en allèrent en le laissant à demi-mort. 31Par hasard, un prêtre descendait cette route. Quand il vit le blessé, il passa de l’autre côté de la route et s’éloigna. 32De même, un lévite arriva à cet endroit, il vit le blessé, passa de l’autre côté de la route et s’éloigna. 33Mais un Samaritain, qui voyageait par là, arriva près du blessé. Quand il le vit, il fut bouleversé. 34Il s’en approcha davantage, versa de l’huile et du vin sur ses blessures et les recouvrit de pansements. Puis il le plaça sur sa propre bête et le mena dans une auberge, où il prit soin de lui. 35Le lendemain, il sortit deux pièces d’argent, les donna à l’aubergiste et lui dit : “Prends soin de lui ; lorsque je repasserai par ici, je te paierai moi-même ce que tu auras dépensé en plus pour lui.” »
36Jésus ajouta : « Lequel de ces trois te semble avoir été le prochain de l’homme attaqué par les brigands ? » 37Le spécialiste des Écritures répondit : « Celui qui a été bon pour lui. » Jésus lui dit alors : « Va et toi aussi, fais de même. »
Cette histoire du « bon Samaritain », nous l’avons tellement entendue, que nous soyons chrétiens ou non d’ailleurs, tellement ce personnage est devenu un symbole de l’aide humanitaire, de l’entraide, de la solidarité.
Revenons à cette parabole :
- Samaritain : c’était depuis le 6e siècle av JC l’ennemi juré du juif, bien que issus, tous deux de la religion d’Israël et de l’Alliance. Mais, tellement souvent, nos ennemis les plus radicaux sont si proches… ukrainiens et russes, palestiniens et israéliens (tous les deux des peuples sémites à la langue si proche) … On pourrait ici faire une longue liste des rivalités, très souvent locales ou régionales.
- Le prêtre et le lévite : Ils sont, tous deux au service du Temple de Jérusalem, centre de la religion juive. Mais ils ont des lois, des règles, et notamment une : ils ne touchent pas un mort : Or, le texte nous précise que le blessé a été laissé pour mort.
- Voilà donc l’aide « inattendue » du Samaritain : à court terme (il panse ses plaies), à moyen terme (il l’emmène à l’auberge, à long terme (il dit à l’aubergiste qu’il repassera pour payer le complément nécessaire à sa guérison). Un vrai exemple à suivre donc.
Cette lecture « classique » a le mérite de nous inviter à incarner une valeur concrète d’aide et d’ouverture vers les autres… mais si on se trompait, non pas sur les conclusions mais sur ce que dit ce texte, cette parabole, ce dialogue :
- Replacer dans le cadre d’un dialogue entre Jésus et un autre juif, pharisien qui connaît la loi et qui se pose la question de la vie éternelle… mais il connaît la réponse théorique. D’ailleurs Jésus ne se laisse pas piéger et répond par une question « que lis-tu dans la loi ? » Et le pharisien cite la « bonne » réponse d’un catéchisme appris par cœur…
- 1er basculement : « qui est mon prochain ? » Cette question vient non plus de la théorie religieuse mais de la réalité humaine…
- Suit la parabole ; si on arrête le récit juste à la fin, on en tire la conclusion : le prochain est l’homme blessé dont je dois m’approcher, m’occuper, me soucier…
- 2ème basculement : Jésus pose la question, après la parabole : « Lequel de ces trois te semble avoir été le prochain de l’homme qui était tombé sur les bandits ? Comme auditeur, je ne suis pas identifié au prêtre, au lévite, ni même au Samaritain mais bien à l’homme blessé sur le bord de la route. Oui, nous sommes fragiles, blessés sur le bord e la route. Le prochain est le Samaritain, celui qui s’est approché de moi. La valeur dont il est question ici c’est celle qui consiste à recevoir, à se laisser approcher ; avant de transmettre, apprendre à recevoir ; se laisser approcher par celui qui vient vers nous mais qui devient autre. Dans l’Entraide, nous vivons un échange, pas simplement un don.
- 3ème basculement, plus discret : huile (onction messianique), vin (symbole de la Cène), monture (entrée de Jésus à Jérusalem). Le prochain « parfait », celui qui s’est approché de moi, c’est donc le Christ. C’est ce que Paul rappelle dans son épître aux Romains : Il s’est approché de nous, alors nous pouvons répondre par notre foi…
Les théologies protestantes (au sein de l’Église Unie, dans toutes leurs variétés) partent d’une théologie de la « grâce » : c’est la « foi DU Christ » (fides Christi) qui suscite la « foi EN Christ » (fides in Christo). Refusant de faire de la foi une œuvre, celle-ci est donc une grâce, une dimension intime entre l’individu et Dieu. Il ne s’agit pas de la « foi de l’Eglise » mais de celle de chacun-e, qui reste un acte libre et personnel. L’Église est seconde (pas secondaire) : elle est l’assemblée des croyants. Sa mission est donc de « témoigner de la foi » et non de la « transmettre ». Nous transmettons des valeurs, des connaissances bibliques, ainsi qu’un esprit critique ; nous témoignons en actes et en paroles. C’est déjà tout un programme ! N’y ajoutons pas la culpabilisation de la transmission de la foi ou l’accusation que sans cette foi on ne peut être « sauvé » ou heureux.
Apprenons à nous laisser approcher, par l’autre et par l’Autre
Jean-Marie de Bourqueney
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Vidéo « Prédication en 3 min » sur YouTube : https://youtu.be/rV0F0g_dpBY