Les Rameaux : une fête, une méprise ou un appel ?
1 Rois 1, 38-40 ; Marc 11, 1-14
Étrange « fête » que celle des Rameaux ; j’ai des souvenirs de Provence… et de branches d’olivier0 chaque région du monde son rameau. C’est parfois comme une réinterprétation festive de la narration des évangiles. C’est parfois même à caractère sociale. Mais le protestant tique sur la bénédiction d’un objet, un morceau de branche, censé « protéger » durant l’année… Bénir, c’est « dire du bien ». Or ne parle qu’aux personnes, pas aux objets…
Mais au-delà qu’attend-on ? qu’est-ce que la foule attendait… ? Au-delà de nos traditions (mélange de cultures locales ou régionales et de christianisme), qu’est-ce que ce texte peut encore nous dire ? comment retrouver le texte derrière nos traditions, pour lesquelles j’ai par ailleurs le plus grand respect ? quel sens pour aujourd’hui ?
Trois lectures
- La méprise
- L’âne inconnu
- La Jérusalem de notre humanité
La méprise
Marc et Luc construisent leur récit sur la forme du sacre de Salomon par David, marquant ainsi l’entrée royale de Jésus que la foule acclame comme « descendant de David », autrement dit comme un nouveau roi politique qui vient restaure la grandeur d’Israël face à l’occupant romain…. Mon royaume n’est pas de ce monde … de plus cette même foule qui acclame le libérateur réclamera quelques temps plus tard sa mort et la libération de Barrabas… c’est une mise en scène de la versatilité comme nous la vivons tous les jours, hélas…
Fête de la versatilité, de la méprise et de la lâcheté ? Jésus va vite « décevoir » : son 1er acte dans Mt est de chasser les vendeurs du temple, et donc de tuer le petit commerce et l’économie locale… on imagine le tollé des syndicats…
Jésus s’approche de Jérusalem, mais, dans Marc, il ressent le besoin d’une pause pour effectuer de préparatifs de la Pâque. Se joue quelque chose de fondamental que les disciples ne comprennent pas encore. Mais il s’arrête à Béthanie, ce qui signifie « la maison des dates » (// Bethléem « la maison du pain »). Or juste après cette pause se situe la colère de Jésus face aux marchands. Or, dans la littérature juive qui nourrit les auteurs des évangiles autant que leurs auditeurs, le principal sens de la date est d’être le symbole de la justice de Dieu. De plus se cache (pas tant que cela pour les auditeurs de l’époque !) un autre symbole. Jésus maudit un figuier. Or la figue est le symbole de la parole de Dieu, dans cette même littérature. Comme la figue a des pépins répartis dans toute la chair, chaque verset de la Bible peut germer en une parole de vie. Chaque verset à son importance. Mais ici la figue, la parole sera stérile … sans fruit ! et Béthanie deviendra le Golgotha le lieu de la mort de Jésus… sans vie ; la Parole va être tuée sur la croix. Plus qu’une méprise c’est un rejet ! L’accueil de Jésus à Jérusalem est donc la méprise absolue : il n’est pas ce roi politique, cet homme providentiel, qui va régler tous les problèmes ! Pire, qu’une méprise c’est un mépris de la justice (Béthanie) et un mépris de la Parole (Le figuier)
Cette méprise, ce mépris se fondent sur le fait d’attendre que Dieu règle nos problèmes ; attendre tout de l’autre jusqu’à en être nécessairement déçu (cf. Politique des sondages). Ce rejet naît donc d’une forme de passivité de l’être humain face aux évts de la vie. Croire en Dieu, nous dit l’évangile, ce n’est pas chercher des réponses à toutes nos questions, c’est l’inverse : c’est se laisser interroger par celui dont la royauté n’est pas de ce monde…
L’âne inconnu
Au verset 2 Jésus dit à ses disciples : « Allez au village qui est devant vous : dès que vous y entrerez, vous trouverez un ânon attaché que personne n’a encore monté. Détachez-le et amenez-le. »
La différence avec le sacre de Salomon se situe là : Dans le sacre, la mule appartenait au roi Salomon. Autrement dit on était dans une transmission classique, comme dans nos monarchies, et même nos républiques. Le roi transmet au roi ! Là, au contraire, l’âne est anonyme, et en plus, le verset précise que personne ne s’est encore assis dessus. À l’inverse d’une transmission, d’une tradition monarchique (ou républicaine…), nous voici dans le règne de la nouveauté absolue : Personne ne transmet à jésus. Il invente, il crée, il est le symbole absolu de ce dynamisme créateur de Dieu. Cela nous apprend bien des choses. :
- La religion est certes composée de traditions qui sont nos repères, nos symboles, nos rites. Mais la religion ne doit jamais oublier que son message est toujours une nouveauté, une (re)création, un dynamisme, pas un conformisme !
- Même dans notre vie, nous passons par bien des phases différentes mais chacune d’entre elles doit être nouveauté, qui n’efface pas la précédente, mais la dépasse, la transcende…
- Même comme parents d’Agathe : Elle vient de vous, de votre rencontre, de votre projet et de vos corps, mais elle aussi une nouveauté, une singularité. Elle est dans son histoire, héritière de la vôtre et inventrice de la sienne.
La Jérusalem de notre humanité
Dans le repas de Pessah, dans le seder ‘mercredi prochain, le père de famille qui raconte la sortie d’Égypte parle en « nous » : « nous » sommes sortis d’Égypte. Il y a donc dans ces deux compréhensions de la puissance de Pâques, une volonté d’actualiser cette puissance dans nos vies : oui, nous avons à sortir de nos esclavages et de nos angoisses (en hébreu, Égypte se dit Mizra’him, pluriel du mot qui signifie « angoisse »)), oui nous avons à sortir de ce qui fait mourir. La puissance devient alors tout sauf violente et mortifère, puissance de vie. Et il conclut en disant « l’an prochain à Jérusalem ». Comme un objectif toujours à atteindre. Voilà pourquoi, au-delà de la géographie de la ville, de sa réalité, Jérusalem est devenue tout à tour symbole de la présence de Dieu « la Jérusalem céleste », et symbole d’une humanité pleinement réalisée, libérée de son esclavage et de ses angoisses. L’apaisement absolu !
Autrement dit, en laissant Jésus entrer à Jérusalem, c’est le contraire de nos méprises humaines et de notre volonté de faire un Dieu à NOTRE mesure, un Dieu qui nous arrange bien, et ne nous dérange jamais. Au contraire, en laissant Jésus entrer à Jérusalem, c’est laisser entrer une part de divinité en nous-mêmes, dans cette vie apaisée que symbolise Jérusalem. C’est cet ultime « passage » (pessah), celui qui consiste à se réconcilier avec cette énergie divine qui nous pousse à vivre. La Passion est donc un renversement de la religion classique qui est censée régir la vie et la pensée des individus. La religion, comme les tables des vendeurs du temple est renversée pour laisser place à une foi qui nous dit qu’au-delà de tout évènement, il y a un chemin possible. Même si la Passion nous mène de la méprise au tombeau, en passant par le rejet, elle nous mène aussi vers un matin de Pâques où nos tombeaux se vident, tombeaux de nos souffrances, de nos culpabilités, de nos angoisses.
Malgré tout, Dieu nous accompagne. Mieux il nous donne un plein panier de figues où chaque graine peut voir germer une fleur d’espérance. Mâchons la Parole
Jean-Marie de Bourqueney