Le matin de Pâques, ou la Résurrection ici et maintenant.
Jean 20, 1-20
Notre monde n’a jamais été aussi sûr : la chance de mourir dans une rue ou au détour d’un chemin n’a jamais été aussi faible, et pourtant…
Il n’y a jamais eu aussi peu de morts par la guerre sur l’ensemble de la planète, même s’il y a la guerre en Ukraine, à Gaza et ailleurs, et pourtant…
Notre vie n’a jamais été aussi longue et notre médecine aussi bonne, et pourtant, nous vivons et nous sommes entourés de souffrances de santé, voire de drames. Et pourtant…
Nous voilà tous dans ces états de stress, de peurs et d’angoisse. Nous avons du mal à notre avenir. Tous les discours sur l’avenir deviennent négatifs : avenir de la planète, de la pollution, du travail, de la retraite, de l’économie, quand ce ne sont pas des craintes sur nos valeurs… Nous ne pensons plus l’avenir en termes d’espérance. Alors quand brûle la charpente et le toit de nos histoires de notre histoire commune, nous sommes en deuil. En deuil de nous -même. Comme les disciples au matin de Pâques, nous allons visiter nos tombeaux. Comme eux nous peinons à voir au-delà d’aujourd’hui et pourtant…
Jean est un évangile différent : Il mêle symbole et montée dramatique « épurée ». Opposition entre deux pôles : « vérité, confiance lumière » contre « refus, reniement ». Entre les deux, il y a le « monde » qui accepte ou refuse : la lumière est venue dans le monde (Jn 1) et celui-ci ne l’a pas reçue ; Jésus prie pour le monde (Jn 17), Jésus prêche pour le monde. Ce monde c’est qui ? c’est nous ! Comme lui nous tâtonnons, nous cherchons, nous découvrons mais aussi nous avons peur, nous refusons la vie, les évènements … nous ne sommes pas lisses. Jean, en parlant du Christ, parle autant de Dieu que de notre condition humaine ; mieux il ne les dissocie pas ; il n’y a pas de théologie sans anthropologie ; on ne peut pas avoir de discours sur Dieu qui ne soit pas inséré dans un quotidien humain réel.
Que se passe-t-il devant ce tombeau vide ? Deux remarques :
Une grande agitation :
En Jean 20, nous sommes en présence de personnages qui cherchent, qui courent, qui pleurent, qui doutent, qui voient ou ne voient pas. C’est un chacun pour soi. Il n’y a plus de communauté mais des individus, livrés à eux-mêmes
- Lecture anthropologique : devant un choc, un étonnement, ce sont les individus qui réagissent ; risque d’isolement dans la souffrance ; comment en même temps respecter la réaction libre de chacun et le risque d’isolement et de destruction des relations ? Dans le deuil mais aussi dans toutes les souffrances et les tombeaux ? Comment vider les tombeaux ? Mais rapidement peut-être un choc peut déclencher des mécanismes de solidarité : fac à l’atrocité des guerres, notre Église à chois d’accueillir, ici à Marly une famille de Syriens.
- Lecture théologique : la religion tâtonne, cherche ; toute théologie n’est qu’une interprétation. Dieu est au-delà des discours sur Dieu. Très important dans le contexte actuel : radicalisation dans chacune des religions de personnes qui invoquent Dieu pour défendre leurs convictions personnelles dans la société, ou ceux qui, dans les Églises chrétiennes, se replient sur des certitudes qu’ils prétendent transformer en vérité divine. Rappelons-le inlassablement, une théologie est un discours sur Dieu pas un discours de Dieu. Cela reste un discours faillible qui prend le risque de l’erreur. Tout discours sur Dieu est devant un tombeau vide et cherche comme ces hommes et ces femmes du matin de Pâques.
- Mais Jean glisse, au milieu de cette agitation, un personnage clef : le « disciple que Jésus aimait » depuis le début de la Passion, mais aussi et surtout au pied de la croix : Confiance humaine (marie/lui) mais aussi confiance spi « il vit et il crut ». Or il ne voit que les bandelettes, c’est-à-dire la trace d’une absence. Confiance comme un au-delà de ce que l’on voit vs foi efficace, voire miraculeuse : Dieu est là, il se tient dans une présence/absence
- De cette « grande agitation » et de cette attitude du « disciple que Jésus aimait », nous devons mesurer la portée sur notre foi mais aussi sur notre manière de vivre. Lorsque tout s’agite, lorsque tout va trop vite lorsque tout s’effondre, n’est-ce pas justement le moment de prendre du recul de voir plus loin Parabole de notre vision du monde. Voir au-delà du tombeau c’est toujours chercher à voir au-delà du chaos qui ne cesse de revenir ou d’advenir.
Une série de rencontres :
A part l’expression « se relever d’entre les morts » au verset 9, qui est un commentaire de l’évangéliste un peu extérieur au récit, le vocabulaire de la résurrection est absent de Jean 20. La résurrection de Jésus n’est ni proclamée par un ange (Marc 16/6 et parallèles), ni associée à des bouleversements cosmiques (Matthieu 28/2), ni « démontrée » par le recours à l’Ecriture (Luc 24/45-46, 1 Corinthiens 15/4). Ni Jésus, ni aucun autre personnage du récit ne parle de résurrection. Jésus vient à leur rencontre, il y a un échange de paroles et de gestes, qui varient d’une rencontre à l’autre. A l’issue de ces rencontres, les personnages parlent sous la forme de témoignages ou de confessions. « J’ai vu le Seigneur », dira Marie de Magdala aux disciples (v. 18).
- Lecture théologique : la foi en Christ n’est pas du démontrable, n’est pas réductible à un discours ni à une définition. On ne peut même pas la définir de manière unique « la » foi mais des expériences, des rencontres, mystérieuses et différenciées, uniques et porteuse de sens. Mais ces rencontres apportent des fruits : la croix a fracturé la communauté le tombeau vide en recrée une en faisant de chacun des témoins. Ils vont porter la parole
- D’ailleurs il faut aussi rappeler qu’il n’y a pas de récit de résurrection qui raconte comment celle-ci aurait eu lieu, mais des récits d’un tombeau vide. La question n’est donc pas de savoir comment Jésus est ressuscité et de se battre sur ces questions, mais de savoir comment être transformé, ressuscités nous-même par ce tombeau désormais vide.
- Lecture anthropologique : ce sont donc les rencontres qui recréent de l’humanité dans l’être humain ! ce sont des rencontres qui permettent de vider les tombeaux. La résurrection est bien sûr un passage pessah de la mort à la vie du Christ, mais autant un passage de la mort à la vie dans nos vies : elle nous engage à nourrir, créer, recréer des relations humaines, mais elle nous engage aussi à devenir témoins, porteurs d’une parole personnelle qui se fasse l’écho d’une Parole universelle, la Sienne !
Pâques est sans aucun doute la clef de voûte du christianisme. Paul le rappelle, c’est l’affirmation du cœur de la foi chrétienne. C’est le lieu de la plus grande intimité entre Dieu et l’être humain. Un lieu de pleurs, le tombeau, qui devient un nouveau départ. Pierre et l’autre disciples étaient partis de chez eux sans doute avec les larmes au fond des yeux, larmes de leur souffrance et de leurs souvenir. Et voilà qu’ils vont retourner chez eux, mais leurs larmes auront changé. Elles seront devenues celles d’une immense émotion, d’une immense joie. Oui la vie l’emporte, bien plus fort que les tombeaux. Notre monde est fait de chaos, nos histoires sont faites de chaos. Ces chaos deviendraient nos tombeaux définitifs si ce matin un Autre ne venait pas nous dire : la pierre a été roulée, et, selon ce titre d’un merveilleux film « Vas, vis et deviens ! »
Jean-Marie de Bourqueney