Prédication du 24 novembre – Le sel et la lumière

par le pasteur Jean-Marie de Bourqueney

Le sel et la lumière

Thème de la prédication  du dimanche 24 novembre 2024 par le pasteur Jean-marie de Bourqueney :

Le sel et la lumière

Dans les évangiles, nous entrons toujours dans des langages symboliques, souvent empruntés aux éléments de la nature et de l’agriculture, notamment dans les paraboles. Mais il est question aussi souvent de repas. Un moine, qui avait du temps, a compté le nombre de récits de repas dans la Bible : il y en a 20 fois plus que de récits de prière… On peut en conclure ce que l’on veut… notamment sur l’importance de la convivialité.

L’auteur de l’Évangile de Matthieu emprunte ces deux symboles du sel et de la lumière. Mais il en fait une vraie révolution : ce n’est plus de Dieu que l’on parle mais de nous… nous sommes associées à un symbole divin. Dans les traditions orientales, notamment l’orthodoxie, on valorise ce symbole de la divinisation de l’être humain. Sans doute dans notre Occident avons-nous un peu oublié cette divinisation. On a insisté sur l’incarnation, c’est-à-dire la « descente », moins sur la remontée. L’être humain se distingue des autres animaux en ce sens qu’il est l’allié de Dieu, et même ici le porteur de Dieu. Il est, au sens étymologique « théophore », « porteur de Dieu » ! Sans doute aussi avons-nous trop rabaissé l’être humain dans le monde occidental, en insistant sur le péché, la culpabilité, « l’incapacité par nous-même de faire le bien » (Calvin). Du coup l’émancipation de l’être humain, la sortie, la libération de la culpabilisation s’est faite en dehors de la religion, contre la religion. Rappelons-nous que nous sommes certes pécheurs mais aussi la lumière et le sel du monde dans la bouche même du Christ. Ce n’est pas rien. C’est une sacrée vocation, une vocation sacrée, pour chacun de nous mais aussi pour le conseil presbytéral, aujourd’hui installé, et pour moi comme pasteur à Marly. Mais alors, comment vivre cette vocation ? C’est toute la difficulté.

  • Rechercher en nous dans notre spiritualité intime cette présence qui d’abord nous éclaire ou nous donne du goût. C’est un travail d’introspection auquel le Christ nous invite. Quelles sont les traces de l’action de Dieu dans ma vie ? Comment est-ce que je fais des choix ? Quels sont mes choix d’engagements ? Qu’est-ce qui me fait vivre ? Le protestantisme a toujours valorisé la foi comme étant premièrement personnelle, singulière avant d’être ecclésiale ou dans le monde. Nous parlons plus volontiers de la foi des croyants que la « foi de l’Église », comme elle s’exprime dans la liturgie de la messe catholique
  • La 2e étape est alors l’Église. La tendance actuelle est plutôt celle d’une foi sans pratique c’est-à-dire sans vie ecclésiale. C’est évidemment possible, mais tellement dommage. Il y a un appel au partage dans la foi chrétienne, à être AVEC les autres et pas uniquement seul dans sa chambre dans le silence de sa prière, ou devant son écran. Il faut aussi le bruit de l’Église, que ce soient les mots, ou la qualité de la musique qui résonne, et celle de nos voix qui expriment par le chant cette louange. Le chrétien n’est pas un animal solitaire, même s’il est d’abord un croyant singulier, intime. Se former, prier, partager, agir…
  • La 3e étape est bien sûr le monde. Que serait une vie de chrétien du dimanche, c’est-à-dire non suivie d’une volonté de transformer le monde ? Laurent Gagnebin a écrit un très beau livre sur Albert Camus : « Il dit à la fois oui (consentement) et non (refus) à notre monde. Le monde, en effet, est la source de son œuvre d’art. Mais une révolte positive le conduit simultanément à un non, à une entreprise de transfiguration du monde donné. Camus déclare :  ‘L’art n’est ni le refus total, ni le consentement total à ce qui est. Il est en même temps refus et consentement, et c’est pourquoi il ne peut être qu’un déchirement perpétuellement renouvelé.’ Ce déchirement perpétuellement renouvelé n’est-il pas une des caractéristiques de notre vie de foi ?»
  • Effectivement, notre foi est un oui au monde et un non à ce monde, une énergie de transformation, un dynamisme créateur. Parce que la folie du christianisme et son génie c’est d’affirmer le Oui de Dieu à l’humanité, le choix de faire de nous plus que ce que nous sommes, de devenir lumière du monde et sel de la terre

Mais alors faut-il clamer haut et fort notre foi ou cultiver la légendaire discrétion protestante ? On nous reproche parfois de ne pas avoir suffisamment de paroles publiques. Oui mais dans le protestantisme, il existe une extrême diversité, voire des oppositions sur tous les sujets… De plus, le cadre de la laïcité voudrait renvoyer la foi à la seule intimité. Alors comment concilier notre amour de la laïcité et notre vocation au témoignage ? Précisément par ces deux symboles du sel et de la terre. L’un est discret, invisible, le sel mais transforme le goût « exhausteur » à petite dose. Le monde n’est pas au régime sans sel. Discrétion « efficace » et respectueuse de l’autre : en effet le sel ne fait que révéler le goût, il ne le change pas il lui permet « d’exploser en bouche » mais la côte de bœuf n’aura jamais le goût du pavé de saumon…

L’autre symbole beaucoup moins discret, la lumière révèle le monde à lui-même. Il permet de percevoir la réalité. Il est le symbole aussi de la vie développée, même si on observe des vies limitées dans l’ombre totale des fosses océaniques à plus de 8000 m sous l’eau. Mais en même temps cette non-discrétion est discrète car on ne regarde pas la lumière : cela risque de nous brûler l’œil ou de nous faire éternuer… nul ne peut voir Dieu et vivre… buisson ardent. Quel plus beau symbole que la lumière pour parler de ce Dieu qui nous éclaire sans que l’on puisse le « voir » ?  Autrement dit, en devenant lumière du monde, nous avons à transformer le monde, non pour être regardés en sauveur, mais pour que le monde vive

Alors discret or not discret ? A la suite de l’Évangile, je suis convaincu que notre action doit être une vraie action de révélation du goût du monde, une forme de transformation des regards et des actions. Mais non pas pour mettre notre étendard en tête, tels de nouveaux croisés allant purifier le monde en imposant nos vues, mais notre christianisme fait le choix de l’humanité parce que Dieu a fait le choix de l’humanité, parce que le Christ nous dit que c’est désormais nous le sel de la terre et la lumière du monde.

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