Prédication du 25 décembre – Noël dans les contrastes

par le pasteur Jean-Marie de Bourqueney

Thème : Noël dans les contrastes

Luc 2, 1-20

Noël sera toujours Noël. Même si l’on sait que c’est une récupération d’une double fête par l’empereur Constantin au 4° (saturnales, fête du « sol invictus » (soleil invaincu + naissance de Mithra dieu solaire). De plus, on sait que le texte est symbolique, puisque l’auteur de l’évangile n’était pas là !

Mais notre lecture se fera toujours à l’aune de cette lumière dont notre monde a besoin ; car si Noël sera toujours Noël il prend son sens lorsque l’actualité se fait cruelle : Guerre en Ukraine et au Proche-Orient, fracturation de nos sociétés et remontées des peurs. Notre regard sur le monde est lié à notre regard sur Dieu. Et lorsqu’on relit l’évangile, on n’y voit pas la trace d’un Dieu de la peur, de la culpabilisation, de la cruauté, mais les traces dans le Christ, d’un Dieu qui accueille la fragilité humaine.

Et toi, comment vois-tu dieu ? Comment lis-tu l’évangile pour toi et pour notre monde, pour aujourd’hui et pour demain… ?

Le choix de Luc est de jouer sur les contrastes, sur les oppositions ou les différences qui se relient. Jérusalem est la capitale religieuse ; or, Jésus naît en dehors… Il est le messie : or, il naîtra dans une crèche sans entrer par la « porte dorée » de Jérusalem, comme normalement le messie doit le faire. Les responsables du temple attendent le messie, ; or, ce sont les bergers qui seront el premiers témoins. On pensait que le ciel est pour Dieu et la terre pour les hommes. Mais voilà qu’ils s’unissent dans cette nuit de Noël. Luc ouvre son évangile sur un équilibre sur une inclusion du ciel et de la terre. À cela il ajoute, cette phrase récurrente des évangiles « n’ayez pas peur ». Cette volonté de ne plus avoir peur est comme une incitation à retrouver le chemin d’une confiance, d’un équilibre. Il emprunte le style de ce récit à un style fun peu fantastique et apocalyptique, en faisant intervenir des « anges du ciel ». Mais, au fond, les anges sont ici une mise en scène littéraire d’une fonction essentielle : celle d’annoncer la bonne nouvelle d’une part, celle d’appeler les autres à ne pas prendre peur devant tout ce qui peut arriver d’autre part. Ne sommes-nous pas appelés à devenir, à notre tour, des anges ? Dans ce récit de Noël, dans ce récit qui ouvre la narration de l’évangile, nous entrons dans l’histoire ; nous arrivons comme bergers, appelés à venir voir le cœur de ce récit. Et nous repartons comme des anges appelés à rassurer le monde entier : N’ayez pas peur !

 

Dans notre monde et dans nos vies, trois éléments sont devenus essentiels auxquels Noël apporte une réponse, ou plutôt une vision alternative : la peur, la colère et l’impatience.

  1. La peur devient une dimension essentielle : peur de l’avenir, de celui de nos enfants. Il y a aussi la peur de perdre : nos identités, un être cher, son emploi, ses repères. On parle même de perdre sa « situation » (comme si on pouvait nous cartographier…). Face à cela, Noël nous invite à basculer dans la confiance. Non pas celle naïve qui consiste à dire : ne t’inquiète pas du lendemain car l’espoir est que tout ira mieux, mais celle active de l’espérance où l’on s’engage, en confiance, à améliorer le monde. Et il y a du travail : avenir climatique, social, économique, justice, égalité… La foi n’est une naïveté attentiste, mais un engagement pour le monde.
  2. La colère habite notre monde. Sans doute depuis toujours. Mais aujourd’hui, dans un monde où tout se communique, elle s’entend, elle se voit. Cela peut être la colère sur le niveau de vie, cela peut être la colère sanglante du terrorisme. Mais encore la colère de nos réactions, qui parfois nous font mettre l’islam et les islamistes dans le même panier de la barbarie. Il est toujours étrange de constater, dans l’histoire comme dans l’actualité, que toutes les convictions peuvent basculer dans la colère. La chose n’est donc pas nouvelle. Nous en avons la trace dans un certain nombre de textes bibliques. Cela donnera naissance au thème liturgique, né au Moyen Âge, du « jour de la colère » (dies irae), que l’on retrouvera notamment dans la plupart des Requiem. Dieu se met-il en colère ? On ne peut penser Dieu qu’avec nos catégories humaines, au risque parfois de lui prêter nos qualités (la puissance) et nos défauts (la colère). Proposons deux manières de comprendre cette colère de Dieu. La première est de considérer que si les textes bibliques emploient souvent ce thème, et même les évangiles ou l’Apocalypse, c’est aussi une manière de dire que seule la colère de Dieu est, ou plutôt serait, légitime, et rend la nôtre illégitime. Nos colères ne peuvent nous emporter vers un chemin de destruction. Seul Dieu, en quelque sorte, en aurait le droit. La seconde est d’illustrer l’idée que Dieu est tout sauf impassible. Tout ce qu’ont vécu les prophètes bibliques dit quelque chose de ce que vit Dieu dans sa relation avec son peuple : amour, déception, colère, projet de châtiment, amour qui finit par triompher… L’intimité du prophète fait entrer dans l’intimité de Dieu. D’autres images que celle de la colère sont d’ailleurs présentes dans ces mêmes textes : l’amour conjugal, l’amour paternel, l’amour maternel. Ne les oublions pas trop vite. Le message de Noël est précisément de nous rappeler cela : la fragilité d’une révélation finalement discrète et fragile l’emporte sur toutes nos colères…
  3. L’impatience ! L’attente fait partie de notre vie ! à commencer par celle, frustrée et délicieuse de l’enfant qui attend son cadeau. Oui, mais il existe aussi l’attente de sortir d’une souffrance physique, même si on sait que ça va arriver. Attente de la fin de la guerre, ou de l’obtention d’un visa pour venir en France ; mais encore attente d’un rendez-vous amoureux, d’une retrouvaille familiale, bref de celle du bonheur… Notre vie est faite d’attente… Or, notre société ne prêche qu’un dogme : l’immédiateté : tout savoir, tout vouloir, tout de suite. On veut tout, tout de suite. Même a vie politique d’aujourd’hui a fait de nous des impatients ; nous sommes déçus quand les résultats ne sont pas immédiats. Tout, tout de suite ! Je me souviens d’un journal (pas Réforme !) qui titrait : « l’avenir, c’est de communiquer sans se parler !» Quel programme effrayant ! Dieu n’est pas dans l’immédiateté, c’est le sens de l’esprit de la Bible. Au travers des médiateurs, à commencer par les auteurs, on y découvre un chemin de patience. Il n’y a pas d’immédiateté de la révélation, pas plus qu’il n’y a d’immédiateté du texte. Nuée de témoins. Tout passe par la relation humaine.

 

Nous avons, pour reprendre une phrase empruntée à la saga Star Wars, à « basculer du côté lumineux de la force ». La seule tentation que nous ayons est celle de faire le bien ! Mais en étant lucide sur nous-mêmes. Un père de l’Église disait que la crèche est une parabole de chacun de nous-mêmes, avec nos zones d’ombres et nos zones de lumières. Dieu est présent dans nos crèches c’est-à-dire dans nos personnes intimes. Alors, Dieu fragile ou Dieu puissant ? En tout cas, Dieu proche, Dieu aimant qui nous rend capable d’aimer, c’est-à-dire de regarder la lumière dans notre monde malgré les ténèbres, la vie malgré la mort. La force du chrétien ce devrait être son regard…et son sourire.

Pasteur Jean-Marie de Bourqueney

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