Thème : l’universalité de l’être humain
Luc 2, 22-40 : L’humain universel
Une nouvelle scène de rencontre pour inaugurer l’évangile de Luc. Mais c’est aussi une scène de transition. Elle ne se déroule pas dans la gloire, mais dans la simplicité et l’humilité d’un enfant et de ses parents. Luc continue de relever les contrastes, en clair et obscur, entre tradition et nouveauté. Pourtant, elle annonce des vérités profondes sur la nature de Jésus, sur l’attente de l’humanité, et sur ce que signifie être un témoin de l’espérance. Et nous avons aussi à actualiser cette symbolique pour notre actualité, pour nos vies, pour notre monde.
Dans cette prédication, je vous invite à regarder ces versets sous un angle plus libre, en nous concentrant sur leur message spirituel et leur résonance dans notre vie aujourd’hui, en tant qu’individus, mais aussi en tant que communauté.
- La rencontre entre nouveauté et tradition (v. 22-24)
Marie et Joseph se rendent au temple pour accomplir des rites de purification, comme le prescrit la tradition juive. Pour eux, il ne s’agit pas seulement d’un acte religieux, mais aussi d’un geste de conformité à une culture et à des lois sacrées. Or, nous aussi nous avons de très nombreuses traditions, à commencer par celle de Noël, qui s’est construite au travers des siècles : choix de cette date, cadeaux, retrouvailles familiales, sapin, crèches, menus spéciaux (à chaque région sa tradition…). Mais nous avons aussi beaucoup de traditions dans l’ensemble de nos vies : traditions religieuses (baptême, confirmation, mariage), anniversaires, jeux olympiques, fête nationale (et son bal des pompiers et son feu d’artifice). On pourrait ajouter à cette liste bien d’autres traditions, y compris nos rites du quotidien… Cela nous montre qu’à travers l’histoire de Jésus, Dieu rencontre les traditions humaines. Jésus, même en tant qu’enfant, est d’abord inséré dans un contexte humain, un contexte de rites, de règles, de pratiques.
Dans un monde de plus en plus pluraliste et mondialisé, nous pouvons nous demander : quelle est la place de nos propres traditions dans la rencontre avec l’Autre, avec ce qui est nouveau, avec ce qui est différent ? Peut-être que l’appel de ce passage est de nous rappeler que la foi n’évolue pas dans un vide, mais au sein de traditions, de cultures et de vécus humains. Jésus nous montre que, même dans l’accomplissement des règles et des rites, l’essentiel réside dans la relation profonde avec Dieu et l’humanité. Le théologien catholique, jésuite, Henri de Lubac, a écrit un ouvrage majeur, en 1944, qui résonne avec les drames de cette période : « le drame de l’humanisme athée » qui dénonce les dérives staliniennes et nazies, mais qui choisit de ne pas opposer l’humanisme et le christianisme et plaide pour un « humanisme chrétien ». Ô combien je le suis sur ce terrain.
- L’universalisme (v. 25-35)
Siméon, un homme juste, attendait « la consolation d’Israël », c’est-à-dire un Messie qui viendrait restaurer la paix, la justice et la dignité pour son peuple. Mais lorsque Siméon voit Jésus, il proclame que ce petit enfant est « lumière pour éclairer les nations ». Ce n’est pas seulement un Messie pour Israël, mais pour tous les peuples, pour toutes les cultures, pour toute l’humanité.
Relisons le verset 34 : « Siméon les bénit et dit à Marie, la mère de Jésus : « Cet enfant causera la chute ou le relèvement de beaucoup en Israël. Il sera un signe qui provoquera la contradiction. »
Oui, le message de Jésus, universaliste, n’est pas totalement recevable par tout le monde. Il demeurera toujours des divisions. Mais Siméon, dans sa vieillesse, incarne l’espérance que l’humanité porte depuis des siècles : celle d’une justice universelle, d’un amour qui unit les peuples et les nations. Il reconnaît dans cet enfant l’incarnation d’une espérance universelle. Ce n’est pas un Messie qui répond à une vision politique ou nationaliste, mais à une vision d’unité, de réconciliation et de lumière pour l’ensemble de l’humanité.
Dans un monde fragmenté, ce message nous invite à voir Jésus non comme un héros d’une religion particulière, mais comme un porteur de lumière pour toute l’humanité. Il nous invite à aller au-delà de nos clivages pour reconnaître dans l’Autre un compagnon de voyage, un frère, une sœur. Jésus est celui qui brise les frontières humaines pour nous appeler à une solidarité universelle.
Mais d’ailleurs relisons le verset 35 : « et il mettra ainsi en pleine lumière les pensées cachées dans le cœur de beaucoup. Et toi, Marie, la douleur te transpercera l’âme comme une épée. »
Luc humanise Jésus, mais il humanise aussi Marie, dans sa souffrance de mère. Nous sommes loin des « couronnements de la Vierge, dans la peinture, que nous avions évoqués lors des conférences de l’Avent.
- la grâce de l’espérance : Anne (v. 36-38)
Anne, la prophétesse, est une figure de sagesse et de persévérance. Son âge est symbolique. Petite leçon de mathématique biblique… Dans la Bible trois chiffres sont essentiels et se combinent : 1, c’est l’unicité de Dieu ; 3 représente (comme les trois anges à Mamré) la manifestation de Dieu, la « théophanie », 4 représente la totalité du monde (comme les points cardinaux. On peut y ajouter 40 (la longue durée) et 1000 (l’infinité)… Si on « ajoute » Dieu au monde, on obtient 7, symbole de la Création (7 jours). Si on les multiplie, on obtient 12, symbole du choix de Dieu, de l’élection (12 tribus d’Israël, 12 disciples de Jésus… Or Anne a 84 ans, soit 12 x 7 : le choix de Dieu et l’universel combiné. Elle représente donc cet appel à continuer à attendre et à témoigner de la venue du Sauveur. Elle incarne cette capacité à rester éveillée, vigilante, dans l’attente d’un monde meilleur, même après des années de souffrance et de déception.
L’étymologie même de son nom, Anne, vient de l’hébreu qui signifie la « grâce ». C’est aussi le nom de la mère de Samuel et cela deviendra dans la tradition catholique, nourrie des évangiles apocryphes, celui de la … mère de Marie.
Anne nous rappelle l’importance de la persévérance dans l’espérance. Celle-ci ne naît pas seulement dans les moments heureux, mais aussi dans l’attente et l’incertitude. Dans nos vies, il y a souvent des périodes de douleur, de perte ou de solitude. Mais à travers l’exemple d’Anne, nous comprenons que notre rôle n’est pas d’abandonner l’attente du renouveau, même quand il semble si lointain. Chaque petit acte de fidélité à notre foi, chaque moment de prière, chaque acte de solidarité avec ceux qui souffrent, participe à cette grande attente d’un monde réconcilié.
- Jésus : un petit d’homme habité par Dieu (v. 39-40)
Enfin, Luc termine ce passage en disant que Jésus grandissait en sagesse, en stature et en grâce. Ce verset souligne non seulement la croissance physique et spirituelle de Jésus, mais aussi le fait que la lumière qu’il incarne se développe progressivement dans un monde en attente. Jésus, enfant, est déjà porteur d’une immense promesse, mais cette promesse ne s’accomplit pas d’un coup. Elle grandit et se déploie dans le temps.
Relisons le verset 40 : « L’enfant grandissait et se développait. Il était rempli de sagesse et la faveur de Dieu reposait sur lui. »
Ce déploiement exprime bien la profonde humanité de Jésus. Contrairement aux affirmations postérieures, notamment à Nicée en 325, Luc ne développe pas du tout une théologie de la divinité de la nature du Christ, mais une interaction permanente entre Dieu et cet homme. Sa Parole devient divine. C’est en cela qu’il incarne Dieu.
Nous, aujourd’hui, sommes invités à participer à ce processus de croissance, à être des acteurs de la lumière qui se déploie dans notre monde. La foi chrétienne, comme la lumière de Jésus, n’est pas un concept figé. Elle est dynamique, elle grandit et se transforme avec nous. Ce qui était commencé dans l’enfance de Jésus doit se poursuivre dans nos vies. Chaque acte de bienveillance, de réconciliation, de paix est une manière de laisser la lumière de Jésus grandir et illuminer notre monde.
Le texte de Luc 2, 22-40 nous appelle à voir dans Jésus non seulement un Sauveur religieux, mais un porteur d’espérance pour l’humanité tout entière. Comme Siméon, nous sommes invités à reconnaître en Jésus la lumière qui éclaire toutes les nations. Comme Anne, nous sommes invités à persévérer dans l’attente d’un monde meilleur. Et comme Marie et Joseph, nous sommes appelés à accomplir nos rites, nos gestes quotidiens, avec un cœur attentif à la présence divine qui se cache dans l’humilité et la simplicité de notre quotidien.
La rencontre de Jésus au temple est une invitation à croire que l’espérance n’est pas un rêve lointain, mais une réalité qui se construit jour après jour. Jésus est la lumière qui grandit dans l’obscurité et qui nous appelle à faire de même.
Amen.
Pasteur Jean-Marie de Bourqueney