Prédication « L’Estive » 3 : la mer, menace et complice

par Jean-Marie de Bourqueney

Estive 3 : la mer, menace et complice

« Estives » 2025 : la nature, un besoin spirituel !

Cet été, nous vous proposons, à la place des habituelles prédications du dimanche, des méditations bibliques, sous la forme d’une « estive biblique », comme un troupeau qui sort de l’étable pour rejoindre les « verts pâturages » (Psaume 23). Il s’agit de prendre le temps de se décaler et, pour cette année, de réfléchir à notre rapport à la nature et à nous-mêmes, comme une occasion spirituelle.  

 

Étape 3 : la mer, menace et complice

Pour cette troisième étape de l’estive, nous vous proposons de réfléchir sur notre rapport à la mer, qui attire tant de vacanciers chaque été.

Exode 14, 21-30

« Moïse étendit le bras au-dessus de la mer. Le Seigneur fit alors souffler un fort vent d’est durant toute la nuit pour refouler la mer et la mettre à sec. Les eaux se séparèrent et les Israélites traversèrent la mer à pied sec : de chaque côté d’eux, l’eau formait comme une muraille. Les Égyptiens les poursuivirent ; tous les chevaux du pharaon, avec chars et cavaliers, pénétrèrent derrière eux dans la mer. Vers la fin de la nuit, le Seigneur, du milieu de la colonne de feu et de nuée, regarda l’armée égyptienne et la désorganisa. Il bloqua les roues des chars, qui n’avancèrent plus que difficilement. Alors les Égyptiens s’écrièrent : « Fuyons loin des Israélites, car le Seigneur combat avec eux contre nous ! » Le Seigneur dit à Moïse : « Étends ton bras au-dessus de la mer, pour faire revenir l’eau sur les chars et les cavaliers égyptiens. » Moïse étendit son bras au-dessus de la mer et à l’aube, la mer reprit sa place habituelle. Les Égyptiens qui s’enfuyaient se trouvèrent soudain face à l’eau, et le Seigneur les y précipita. L’eau recouvrit tous les chars et les cavaliers des troupes du pharaon qui avaient poursuivi les Israélites dans la mer. Personne n’échappa. Quant aux Israélites, ils avaient traversé la mer à pied sec, l’eau formant comme une muraille de chaque côté d’eux. Ainsi, ce jour-là, le Seigneur délivra les Israélites du pouvoir des Égyptiens, et les Israélites purent voir les cadavres des Égyptiens sur le rivage de la mer. »

 

Le moins que l’on puisse dire est que le peuple d’Israël, dans la Bible, n’a pas un rapport aussi positif que nous, en Occident en 2025, avec la mer ! Celle-ci est souvent, dans la Bible, symbole de danger absolu, voire de règne des monstres obscurs. Dans le récit de l’Exode, le salut des Hébreux est dû au fait que la mer est « mise à sec », et la mort des Égyptiens à la « remise en eau » ! Ce n’est pas par bateau que les Hébreux ont été libérés. Et quand la mer devient nourricière (pêche miraculeuse) ou apaisante (tempête apaisée), il s’agit en fait d’un lac, celui de Tibériade ! La Bible n’est pas issue de la culture d’un peuple de marins, mais plutôt de paysans. On y parle plus aisément de semence, de brebis que d’horizons maritimes. Mais elle nous interroge tout de même sur notre rapport à cette mer tant chérie de nos contemporains occidentaux.

D’abord un constat s’impose : ce rapport si ludique à la mer (y nager, y plonger, y naviguer de manière plus ou moins sportive) est une particularité occidentale, et même sans doute très européenne. Beaucoup d’américains adultes se baignent dans la mer avec des bouées ou de gilets ! Beaucoup de pays africains côtiers ne pratiquent que très peu la baignade… Il faut donc puiser dans notre histoire pour comprendre cet engouement incontestable pour la mer. La première raison est ancienne et historique : beaucoup de nations européennes sont des nations tournées vers la mer, que ce soit vers la Méditerranée ou vers l’océan et le départ vers des voyages lointains, voire des tours du monde. La mer évoque le large, la découverte, presque l’infini. Nous partageons cette vie maritime avec l’ensemble des peuples autour de la Méditerranée, qui porte bien son nom paradoxal de « au milieu de la terre ». Elle fut l’objet de luttes incessantes pour étendre l’influence de tel ou tel empire ou pays. Depuis les indépendances d’Afrique du Nord, la situation s’est stabilisée, si ce n’est que cet espace de vie et d’échanges est hélas devenu un cimetière pour de nombreux migrants. Mais il est vrai que cette mer nous relie les uns aux autres. Dans la culture, les rencontres sont nombreuses. On peut par exemple trouver des traces communes dans les différentes musiques ou chants d’Afrique du Nord et les chansons napolitaines ou le chant corse… La mer est un lien, une opportunité de rencontre. Cette raison fait des Français des amateurs de mer, même si chacun défendra la sienne : Océan, Manche, Méditerranée… D’ailleurs, le français permet une homophonie intéressante entre « mer » et « mère » : chacun a sa mer-mère qu’il aime tant retrouver.

La seconde raison de cet engouement est plus récente. En 1936, la loi sur les congés payés est votée. L’été 1936 voit tout de suite se développer un tourisme balnéaire, autrefois réservé à une élite, de manière très rapide. Le développement de la voiture après-guerre va encore plus accentuer ce phénomène. Quelques générations se souviennent encore des bouchons de la Nationale 7, désormais remplacés par ceux de l’autoroute. D’ailleurs cette croissance atteint ses limites. Depuis quelques années, de nombreux lieux limitent l’accès pour éviter un surtourisme qui n’a que de mauvaises conséquences, tant pour la nature que pour les vacanciers eux-mêmes.

Mais, et c’est là que l’on rejoint en partie le texte biblique de l’Exode, la mer est pour nous une forme de libération de nos esclavages du quotidien. La vie dans l’eau est tellement différente de celle dans le métro ! On y retrouve, par le fait même d’être un autre milieu (où l’être humain doit s’adapter), une double dimension : être un espace ludique et une forme de retrouvaille avec soi-même. La dimension familiale est aussi un élément déterminant, car les générations y coexistent souvent. Quant aux sportifs de la « glisse » (voiliers, surfs, planche à voile, kite-surfs), ils vous diront toujours l’importance de ce sentiment de légèreté et de puissance, et de sensations fortes qu’ils ressentent. Et, dans l’eau de mer, salée, on se sent plus légers.

La mer a donc ses limites, ses dangers (nombreux !), mais elle continuera toujours à nous faire rêver car elle fournit cette apesanteur au milieu du stress. En cela, elle peut être une forme de spiritualité : avoir ce sentiment de légèreté et se sentir exister. Une confidence : j’ai vécu de très grands moments spirituels en apnée, assis au fond de l’eau en écoutant le bruit si particulier des fonds et des courants ; avec ce vague sentiment d’être devenu un peu plus proche des poissons…

 

Jean-Marie de Bourqueney

 

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Vidéo « Estive »  sur YouTube : https://youtu.be/QppFbw7wJao

 

 

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